Interview: Doris Ladiges-Evans, européenne d’abord… responsable pédagogique au Goethe Institut de Bordeaux


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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 03/05/2013 PAR Elodie Souslikoff

@qui! – Pourquoi avez-vous décidé de venir en France?
Doris Ladiges-Evans –
J’ai fait des études de français en Allemagne et je suis venue ici pour m’améliorer. Je ne projetais pas du tout de rester. Mais j’ai trouvé un emploi, c’est ce qui a fait que je ne suis pas rentrée en Allemagne.

@! – Vous vivez à Bordeaux mais vous promouvez l’Allemagne et êtes allemande. Vous sentez-vous plus allemande ou française?
D. L-E –
Je me sens européenne. Je ne me suis jamais vraiment sentie allemande. Je me suis sentie hambourgeoise, venant d’Hambourg, mais pas allemande.

@!: Le fait que la France et l’Allemagne appartiennent à l’union européenne a-t-il facilité votre intégration?
D. L-E –
Oui, c’est sûr. Quand je suis arrivée, il fallait encore avoir un permis de travail et de séjour, tout cela n’existe plus aujourd’hui. Il fallait aussi avoir un diplôme français et la nationalité française pour enseigner dans le public. Aujourd’hui, grâce à l’Europe, ce n’est plus le cas, on peut enseigner dans l’éducation nationale dès lors que l’on a un diplôme français. Personnellement, j’ai toujours la nationalité allemande mais je ne ressens pas le besoin de demander la double nationalité car je n’ai pas de contrainte dans ma vie quotidienne en tant qu’allemande en France.

Sur le plan humain, aujourd’hui, quand je dis que je suis allemande, les gens sont plutôt intéressés, mais quand je suis arrivée dans les années 1980, ce n’était pas du tout pareil, les gens n’étaient pas tous accueillants du fait de notre histoire. On m’a traitée plusieurs fois de « Fritz ». Aujourd’hui ce n’est heureusement plus du tout le cas. Je pense que ce changement est dû à l’Europe qui se contruit, au couple franco-allemand relayé dans les médias, à l’euro qui fait voyager les Français beaucoup plus facilement. 

@! – Vous qui cotoyez à la fois des Français et des Allemands, pouvez-vous dire s’il y a une vision allemande et une vision française de l’Europe?
D. L-E –
Quand je lis les journaux français, je ne me retrouve pas dans la vision qu’ils ont de l’Europe. Pour les Allemands de ma génération, l’Europe était un concept facile à atteindre, beaucoup plus que ce que pensent les Français aujourd’hui. Pour moi, les Allemands se sentent plus européens que les Français tout en ayant retrouvé une certaine fierté d’être allemands. Cela s’est par exemple ressenti lors de l’Euro 2008 [où l’Allemagne est arrivée en finale contre l’Espagne après avoir battu la Turquie]. C’était la fiesta! J’étais à Francfort à ce moment et dans cette ville, les chauffeurs de taxi sont des Turcs. Ils avaient sur leur voiture le drapeau turc mais aussi le drapeau allemand. Et là je me suis dit : c’est ça l’Europe, c’est être turc ou allemand mais être tous ensemble pour une chose commune. Pour moi, c’est beaucoup moins le cas en France où il y a surtout des discussions sur, par exemple, l’hymne national, si on le chante ou pas, sur le fait d’être français ou pas. En Allemagne, on ne se pose pas la question, on est allemand et puis c’est tout! Mais l’histoire est différente, je ne critique pas!

@q! – Les relations entre la France et l’Allemagne sont de plus en plus tendues depuis l’élection de François Hollande et récemment depuis les critiques du PS à l’encontre de la chancelière allemande. Pensez-vous que les frictions actuelles entre l’Allemagne et la France peuvent avoir un impact sur l’amitié franco-allemande?
D. L-E –
Pas du tout. J’ai lu les journaux allemands sur ce sujet. Ils ne critiquent pas Hollande car ce n’est pas lui qui a parlé, c’est le PS. Le président allemand du Parlement européen Martin Schulz a lui-même dit que rien n’allait entraver l’amitié franco-allemande. Ce n’est pas parce que le PS dit quelque chose que la politique entre les deux pays va changer.

@! – Comment expliquer la divergeance de point de vue entre l’Allemagne qui prône l’austérité et les autres pays en difficulté économique?
D. L-E –
Déjà, je crois qu’en France il faut arrêter de glorifier l’Allemagne. La situation n’est pas rose là-bas. Les chiffres sont positifs avec un taux de chômage très bas mais il y a près de 25% d’Allemands qui vivent avec 500 euros par mois. Et puis, l’immigration est moins forte que l’émigration. Il y a par exemple beaucoup d’Allemands bien formés qui émigrent dans les pays scandinaves car ils sont mieux payés. Pour beaucoup d’Allemands, le quotidien est difficile. Il faut parler de cela aussi, et pas uniquement de ce qui arrange les journalistes! Il y a beaucoup de pauvreté en Allemagne, et c’est suite aux politiques de Gerhard Schröder, qui est social-démocrate. L’austérité, en Allemagne, c’était il y a 10 ans sous Schröder et il a d’ailleurs perdu les élections après cela. Il ne faut pas prendre l’Allemagne comme bouc-émissaire ni comme modèle à suivre.

@! – Comprenez-vous les Allemands qui disent ne pas vouloir payer pour les erreurs des banques des autres pays européens?
D. L-E –
Mais ils ne paient pas pour les autres, ils se portent garants! Il y a même des journalistes allemands qui disent que même si l’Allemagne doit payer, elle ne sera pas perdante car elle vend des armes aux Grecs. Les Allemands sont très partagés sur le sujet. D’un côté, certains disent qu’ils ne veulent pas payer pour les autres alors que d’autres se disent : « mais quelle horreur, qu’est-ce-qu’on fait aux Grecs? ».

@! –  Y a-t-il des différences de traitement de l’Europe entre les journaux français et les journaux allemands?
D. L-E –
Les journaux français traitent de sujets très franco-français et manquent de recul concernant l’Allemagne c’est-à-dire que soit ils la glorifient soit ils sont très négatifs envers sa politique. En Allemagne, les médias parlent beaucoup plus de ce qui se passe à l’étranger, l’international puis l’actualité européenne passent en premier. Le national est traité en dernier. La France est très centrée sur Paris, en Allemagne, état fédéral, chaque région a son importance.

@! – Comment définissez-vous la citoyenneté européenne?
D. L-E –
Pour moi, c’est être acceptée là où je suis, comme je suis, avec mon histoire, mon vécu.

@! – La relation franco-allemande a-t-elle facilité votre intégration en France?
D. L-E –
Ce n’est pas l’amitié officielle avec le traité de l’Elysée mais les nombreux organismes qui font le lien entre les deux pays qui ont facilité mon intégration. L’office franco-allemand (Ofaj) facilite les échanges grâce à des subventions depuis les années 1960. Financièrement, les voyages scolaires sont moins coûteux en France qu’en Angleterre.

La fête de l’Europe, jusqu’au 17 mai à Bordeaux et en Gironde, programme disponible sur le site de la Maison de l’Europe Bordeaux-Aquitaine

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