Interview – Franck Rebillard (Sciences de l’information et de la communication) : « La presse en ligne doit assurer le financement de la création de ses contenus »


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Temps de lecture 4 min

Publication PUBLIÉ LE 06/07/2010 PAR Joël AUBERT

Il analyse pour aqui.fr le rôle des « infomédiaires » dans la circulation des contenus. Avant de souligner l’importance croissante du financement de la création d’information sur Internet.

@qui.fr ! – Sites, portails, blogs… L’information sur Internet est multiple et très facile d’accès. Mais qui lit quoi sur le web ?
Franck Rebillard – L’observation des habitudes des internautes montre qu’il existe deux grandes pratiques d’information. D’une part, des personnes consultant les portails d’informations (Google actualités, Yahoo actualités, page d’accueil des fournisseurs Internet) pour obtenir une information factuelle et rapide. C’est l’usage majoritaire : l’enquête « Mediapolis » du Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po), publiée en juin, souligne que 57 % des sondés passent par ces portails pour s’informer sur la politique, tandis que 23 % consultent les sites web des médias traditionnels, et seulement 6 % des sites indépendants tels que Rue89 ou Mediapart. Et on l’oublie trop souvent, mais la fréquentation de ces portails d’information est beaucoup plus importante que celle des sites des journaux, avec près de 6 millions de visiteurs uniques chaque mois pour Google actualités contre seulement 4 millions pour Lemonde.fr, par exemple [chiffres Médiamétrie, ndlr]. D’autre part, on trouve sur Internet des personnes à la recherche d’une information précise et consultant pour cela des blogs ou sites spécialisés. Dans ce second cas, et à l’opposé du premier, il s’agit globalement d’un public issu des catégories intellectuelles supérieures. Autre précision, ces deux pratiques sont relativement cloisonnées, l’internaute appartenant à l’une ou à l’autre catégorie. Pour autant, il existe un point commun à tous les internautes : ils s’informent très majoritairement sur leur lieu de travail, ce qui ne se faisait pas du tout auparavant.


@! – Le succès de la première pratique a-t-elle des conséquences sur les formats des articles, de plus en plus courts ? Ou sur le type d’informations traitées, davantage du domaine du divertissement ?
F. R. –
Difficile à prouver. Cependant le développement des portails d’information est à mettre en lien avec l’émergence depuis les années 2000 d’une autre forme de presse, les quotidiens gratuits. Eux aussi proposent une information courte, factuelle et directe, à lire pendant le temps de transport ou au travail.


@! – La presse en ligne a aussi assisté à l’arrivée de nouveaux acteurs de l’information, les « infomédiaires », ces sites et plateformes qui relayent les informations sur le modèle de Google, Wikio ou Paperblog (2). Quel rôle jouent-ils ?
F. R. –
Ils vont chercher les informations en lien avec un thème ou une actualité sur toute la toile et ils les rassemblent. Leur rôle, qui consiste donc à compiler de l’information pour la rendre plus accessible ou lisible, est avant tout utilitaire. Leur particularité est de renvoyer directement sur l’article ou le post qui intéresse l’internaute et non pas sur la page d’accueil du blog ou du site. Outre les critères de recherche saisis par l’internaute, les infomédiaires se fondent très souvent sur le nombre de consultations d’un article ou sur la fréquence de publication du support pour choisir les informations à sélectionner. Cette pratique favorise de fait les sites déjà installés et qui publient beaucoup.


@! – Ne risque-t-on pas de voir disparaître progressivement les sites et blogs, faute de consultation directe, au profit des infomédiaires, qui deviendraient les seuls créateurs et distributeurs d’information ?
F. R. –
Je ne pense pas. Tout d’abord, il existe un grand nombre d’infomédiaires. Ils sont certes moins puissants que les portails d’actualité mais ils fonctionnement avec une philosophie différente. Wikio a mis au point, en plus de son agrégateur d’articles, un autre fil qui compile seulement les posts des blogs. Un autre infomédiaire, rezo.net, ne relaye lui que des contenus en lien avec les idées de la gauche et de l’extrême gauche par exemple. Chacun peut choisir le ou les infomédiaires de son choix. Et, tant que des sites produisent en amont du contenu original, les possibilités de création d’agrégateurs sont infinies. Surtout, les sites classiques et les infomédiaires ne sont pas en concurrence frontale mais bien situation de ‘coopétition’ (contraction de coopération et de compétition). Ils sont dépendants les uns des autres. Les infomédiaires ont besoin du contenu produit par les sites afin de renvoyer sur eux. Ces derniers bénéficient, en retour, de gains d’audience. Et cette mécanique pourrait être encore renforcée avec les réseaux sociaux qui fonctionnent de plus en plus comme des prescripteurs d’information postant des liens qui incitent à lire tel article ou tel post sur un site.


@! – Dans ce contexte, quel est le principal défi que doit relever l’information sur Internet ?
F. R. –
L’enjeu crucial de ces prochaines années, selon moi, sera le financement de la création de contenu sur Internet. Aujourd’hui, les principaux acteurs dans ce domaine sont les éditeurs professionnels de sites web (des sites d’information traditionnels notamment), les infomédiaires et les réseaux sociaux ne faisant que reprendre leur contenu pour les diffuser auprès des lecteurs. Les éditeurs se financent auprès des annonceurs en leur vendant de la publicité. Or, sur ce terrain, ils sont concurrencés de plus en plus par les infomédiaires et les réseaux sociaux qui font valoir leur large audience. A l’avenir, deux scénarii sont possibles. Soit on décide que la production d’information doit être assurée exclusivement par les éditeurs, qui ayant dû mal à se financer, risquent de basculer dans de l’information ‘low cost’. Soit on affirme que la création d’information doit être financée par l’ensemble des acteurs et on demande aux infomédiaires et aux réseaux sociaux de contribuer, en contrepartie des bénéfices qu’ils tirent de la diffusion des informations. Cette deuxième solution, inspirée de ce qui se fait dans l’industrie musicale, me paraît être la plus viable à long terme. Elle demanderait l’intervention de la puissance publique pour mettre en place ou imposer une contribution à la création et, dans tous les cas, elle prendra du temps.

Propos recueillis par Estelle Maussion

(1) Conférence « Le marché de l’information journalistique sur le web » organisée par le Social Media Club, le 16 juin 2010, à La Cantine. Liste des intervenants et compte rendu des échanges sur socialmediaclub.fr.
(2) Pour plus de détails, lire « Les infomédiaires, au cœur de la filière de l’information en ligne. Les cas de google, wikio et paperblog. », Franck Rebillard et Nikos Smyrnaios, Réseaux 2010 2-3 (n° 160), La Découverte.

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