Interview : Jean Claude Guillebaud : « Comment je suis redevenu chrétien »


Jean-Claude Guillebaud n'a pas décidé de faire dans la nostalgie; il "n'est pas sûr d'être redevenu un bon chrétien" mais son chemin de la reconquête, entre humilité et érudition, vaut une lecture attentive.

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Temps de lecture 3 min

Publication PUBLIÉ LE 26/03/2007 PAR Catherine Boulanger

Aqui ! : Sur le chemin de cette reconquête que vous empruntez l’influence de Jacques Ellul a semble-t-il été déterminanteainsi que cette subversion contenue dans le message christique, ce choix radical de la victime plutôt que de l’oppresseur ? Au fond, elle aurait pu vous conduire beaucoup plus rapidement à ce retour, si l’on considère que vos premières rencontres avec lui remontent à 40 ans?

Jean-Claude Guillebaud : J’ai découvert Jacques Ellul ( et ses livres) en 1962-1963, quand je me suis inscrit en fac de droit à Bordeaux, où il était professeur. Je dois dire qu’à l’époque, c’est principalement son oeuvre sociologique qui m’intéressait, notamment sa réflexion — assez prophétique — sur la technique. Chez Calman Lévy, dans la collection « Liberté de l’esprit » que dirigeait alors Raymon Aron, Ellul publiait aussi des essais iconoclastes où il dénonçait avec talent les conformismes de l’époque, notamment ceux de gauche.
C’est bien plus tard que je me suis intéressé à la partie proprement théologique de son oeuvre. En fait lorsque je suis devenu son éditeur, d’abord au Seuil, puis à Arléa.
Et puis, comment dire, entre les différents auteurs qu’on découvre, il se produit une sorte d’interférence, de synergie. En 1978, j’ai découvert le travail de René Girard — qui comporte d’ailleurs des points communs avec celui d’Ellul — et aussi celui de Louis Dumont et de Michel Henry. J’ai relu — et publié — certains textes d’Ellul sur le christianisme en étant mieux capable, je crois, d’en comprendre la portée.


@ ! : Ellul le protestant:pourquoi au fond ne pas avoir choisi,comme lui, le chemin du temple plutôt que celui de l’église? Marie appartient-elle à votre univers de chrétien?

JC G : Je suis sensible à l’expérience historique du protestantisme et au message protestant, c’est vrai. Par exemple dans sa critique radicale du « césaro-papisme » ou dans son intérêt principal pour les Écritures (que, jusqu’à une date récente, les catholiques lisaient peu.) J’aime aussi l’expérience propre aux protestants français : celle de la minorité, parfois assiégée. Il n’empêche que je suis catholique et que je le reste. La personne de Marie et ce qu’elle incarne me parlent. C’est mon terreau d’origine, mon arbre généalogique si vous voulez. Il me semble que chacune d’entre nous, s’il veut rencontrer « l’autre », doit d’abord s’efforcer d’approfondir sa propre tradition, sa propre culture. C’est d’ailleurs ce que répond le Dalai Lama aux Occidentaux qui lui disent vouloir se convertir au bouddhisme. Il leur répond : allez approfondir votre propre religion, c’est ainsi que vous nous rencontrerai.
J’ai bien ce type de raisonnement et de démarche. Je me méfie des « conversions » qui courent toujours le risque de rester émotives et superficielles.


@ ! : Que dire et comment le dire, aux jeunes d’aujourd’hui, sur l’importance des valeurs de la chrétienté dans nos sociétés où d’autres religions,l’islam en premier lieu, sont tentées par le prosélytisme ?

JC G : J’aurais envie de dire aux jeunes deux ou trois choses toutes simples.
D’abord d’essayer d’acquérir une culture religieuse minimale. Non pas pour se « convertir » ou pour se « rallier » à je ne sais quelle Église mais, tout au contraire, pour ne pas être trop vulnérable aux crédulités à la mode, pour ne pas être naïf face aux sectes, aux gourous, aux superstitions. C’est souvent l’ignorance religieuse totale de certains jeunes (par exemple des jeunes musulmans) qui les laisse sans défense face aux manipulateurs et aux prosélytes de toute sorte.
Ensuite, je dirais aux jeunes : vous avez bien raison de ne plus accepter les proclamations théoriques, les leçons de morale purement verbales, les « catéchismes » qui n’engagent pas vraiment ceux qui les édictent. Soyez plus sensible à la vie réelle des gens qu’à leur discours ; ne croyez que ceux qui « habitent » vraiment leurs paroles et qui « vivent comme ils parlent », pour reprendre une expression d’Edgar Morin.
Aujourd’hui, les croyances ne doivent plus être « assenées » ou imposées. Elles doivent s’attester par la pratique, l’expérience, etc.
Enfin je leur dirais cette chose encore plus simple : dans des sociétés plurielles commes les nôtres, des sociétés où doivent — et devront — cohabiter des croyances et des religions différentes, il faut dire clairement qui on est. Il ne faut pas raser les murs ou dissimuler ses convictions. Le vrai dialogue commence quand on est capable de savoir qui on est et qui est l’autre.

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Propos recueillis par Joël Aubert

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