La révolution tunisienne vue par le poète et écrivain Abdelwahab Meddeb


Fondation Jean Jaurès
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Temps de lecture 3 min

Publication PUBLIÉ LE 18/05/2011 PAR Aymeric Bourlot
Homme de culture et de réflexion, Abdelwahab Meddeb se réfère notamment à Rousseau, Tocqueville, Hobbes ou encore La Boétie pour alimenter son analyse profonde des évènements tunisiens et leur sens dans l’Histoire. Auteur déjà de plus d’une vingtaine d’ouvrages il révèle la genèse de ce « Printemps de Tunis » aux origines plus intimes « C’est un livre suscité qui rend compte d’un itinéraire et d’un cheminement complexes, mais au final logique et cohérent » explique-t-il. Un cheminement fait, pour lui, d’un « exil occidental » qui l’a construit et lui a donné un regard extérieur, bien qu’avisé, sur la révolution dans son pays d’origine.

Une ampleur surprenante
Comme beaucoup il a d’abord été surpris par l’ampleur du soulèvement, « Bien que la Tunisie comportait tous les éléments pour se révolter, personne ne s’attendait à un tel évènement, à une révolution historique qui toucherait la structure même du pouvoir de ce pays » développe-t-il. Ainsi, d’un hommage appuyé à Mohamed Bouazizi, dont la tentative de suicide par immolation a lancé le mouvement en décembre 2010, c’est toute la population tunisienne qu’il salue « Par définition les révolutions viennent par surprise. Pourquoi ce jour ? Pourquoi à ce moment ? L’effet de surprise d’un acte révolutionnaire c’est une des lois de l’histoire mise en évidence par Tocqueville » affirme Meddeb pour qui la Tunisie « a su passer d’un état de liberté de l’âme à celui de liberté politique, en menant une vraie réflexion sur la démocratie qui doit se construire. On passe de l’état Hobbesien, état de nature, à un climat propice à la démocratie. Mais la menace aujourd’hui c’est l’apparition de luttes intestines continuelles, ce qui serait le pire des états »

Sortir du « choc des civilisations »
Si la révolution a été possible en Tunisie, mais aussi en Egypte, Abdelwahab Meddeb l’explique par plusieurs manières, il se réjouit tout d’abord du déclin d’une vision archaïque de l’Islam « La conjoncture est en train de changer, on comprend enfin que faire de la politique avec la religion n’est plus adapté et grâce au travail critique que nous menons, moi et d’autres intellectuels, nous participons à déconstruire cet Islam barbare pour en montrer toute la complexité et sortir ainsi du choc des civilisations ». Autre élément d’explication selon lui, l’héritage contrasté d’Habib Bourguiba. « La politique bourguibienne d’instruction et sa généralisation a permis aux citoyens de se libérer, cependant nous sommes peut-être en droit d’en vouloir plus à Bourguiba qu’à Ben Ali.» dit-il « C’était un homme cultivé, un enfant de la IIIème République, Il a voulu rompre avec le statut personnel défini dans l’Islam et voulait bousculer la communauté en lui apportant les « lumières », notamment en y amenant l’école et en contrôlant la natalité. L’aspect violent et autoritaire de ses réformes l’ont desservi, il n’a pas réussi à faire le ménage dans ses identités meurtrières et cela a retardé l’appel à la démocratie du peuple tunisien».
Mais plus que ces analyses historiques, Meddeb souligne le rôle de la population elle-même et en particulier des femmes et des jeunes « qui ont été très actifs dans ce processus qui consiste à dessaisir l’Etat de son autorité légitime puis de passer de la défiance à la résistance civile non violente ». Une jeunesse qui a su utiliser les nouvelles technologies et qui a « participé à faire de la politique avec cet outil nouveau qu’est internet et à créer une politique de communauté, différente de celle des partis. Grâce à l’informatique on est passé de la servitude à la liberté sans aucune transition dans le réel, comme cela s’était produit avec les pays de l’Est, où la radio, et notamment les radios américaines avaient lancé le soulèvement contre la dictature »

« Une logique d’accompagnement »
Cependant, Abdelwahab Meddeb est partagé entre espoirs et doutes concernant l’avenir de son pays d’origine. « La Tunisie est dans une phase propice à la démocratie. 60 ans après son indépendance institutionnelle elle est enfin entrée dans sa période post coloniale. A l’image de la révolution française qui a attendu un siècle pour vraiment s’appliquer grâce à Ferry et Jaurès, il a fallu du temps à la Tunisie. Mais il y a souvent un monde entre la fin d’une dictature comme celles de Ben Ali ou de Moubarak en Egypte et l’arrivée à la démocratie. Selon les travaux de Gene Sharp on sait que la chute de l’une n’a pas pour effet direct de produire l’autre. Dans son passage à la démocratie la Tunisie échouera sans l’aide de l’Europe. Il nous faut penser, au moins dans le cadre de la Méditerranée, à un partenariat, mais pour cela il faut déconstruire l’image de peur et entrer dans une logique d’accompagnement »

 » Printemps de Tunis, la métamorphose de l’histoire » de Abdelwahab Meddeb, Editions Albin Michel – 174 pages – 14 euros
Crédit Image : Fondation Jean Jaurès

Aymeric Bourlot
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