La silver-économie au rythme creusois


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Temps de lecture 6 min

Publication PUBLIÉ LE 10/12/2017 PAR Romain Béteille

La feuille de route régionale de la silver-économie (déclinaison d’un rapport national datant de décembre 2016), si elle n’a pas permis de dégager encore de réelles actions concrètes, a au moins eu le mérite de remettre le sujet sur la table des débats politiques régionaux. Il faut dire que du haut de ses 84 000 kilomètres carrés, cette grande région est particulièrement concernée par le phénomène de vieillissement de la population : 30% de ses six millions d’habitants ont plus de soixante ans et 11% plus de 75 ans. Pour gérer cet enjeu démographique majeur, chaque ancienne région a sa spécialité : médecine et santé pour l’Aquitaine, développement des technologies pour Poitou-Charentes et « accompagnement des parcours résidentiels » et domotique, regroupés en « silver économie » pour la Limousin. Si un partenariat inter-régional a été annoncé pour 2018, il ne correspond pour l’instant qu’à un objectif sur le papier. En mars 2015, entre Limoges et Guéret, le bilan que nous avions pu faire était situé entre de grands espoirs et un développement de la filière plombé par des défis structurels de taille. Nous avons voulu savoir si les choses avaient avancé depuis, et dans quelle(s) direction(s).

Stratégie territoriale

Car la Creuse est toujours le département le plus concerné par le vieillissement de la population en France, bien qu’il soit le moins peuplé de la région Nouvelle Aquitaine (22 habitants par kilomètre carré, c’est trois fois moins que les 70 habitants par kilomètre carré de la région). En plus d’un solde migratoire négatif (en moyenne 1000 décès de plus que les naissances), l’âge moyen des habitants est de 47,5 ans, soit la plus haute moyenne de la région. Cela dit, les avancées dans la filière de l’économie des seniors sont tout sauf flamboyantes : malgré un comité stratégique et le contrat de filière qui l’a suivi en 2013, on a l’impression que les initiatives en la matière sont éparpillées un peu partout sur le territoire, si bien que des salons comme la « Silver Economy Expo »(en novembre à Paris) ou les récompenses du Trophée Silver-Éco remis par la CCI locale semblent encore nécessaires pour en identifier les acteurs. Le Pôle Domotique et Santé de Guéret est sans conteste l’une des plus identifiées en Creuse. Il y a quelques mois, il s’est adjoint les services d’une nouvelle directrice et ancienne directrice de l’éducation et des sports au Conseil départemental, Cécile Bourderionnet. Pour exemple, la délégation de service public pilotée par le département (et baptisée Domo Creuse Assistance) avait distribué, à l’été dernier, 2000 packs « autonomie » et recensaient 3500 abonnés à la plateforme de téléassistance pour la détection des chutes. 

Questionnées sur les avancées concrètes du Pôle depuis notre dernière visite, cette dernière, pragmatique, préfère nous avertir. par mail : « S’agissant de la filière silver-économie locale (…) cette thématique fait partie des axes de négociation dans le cadre du plan de redynamisation de la Creuse à soumettre au président de la République. Pour l’instant, nous n’avons pas de visibilité claire sur les leviers/ressources complémentaires que nous pourrions mobiliser », écrit-elle. C’est que le département de la Creuse se trouve actuellement dans un chantier éminemment politique : ce fameux « plan de redynamisation » du département qui doit être remis dans les mains d’Emmanuel Macron avant la fin de l’année. En concertation avec les habitants (plus de 2000 participants en tout selon les derniers chiffres) et le cabinet Auxilia, plusieurs pistes ont déjà été identifiées, en plus de l’élaboration d’un fort « marketing territorial » : développement de zones franches dans le but d’attirer les entreprises dans le secteur, créer des « centres d’accueil pour personnes handicapées » en Creuse, demander des transferts de sièges d’administration publiques comme La Poste ou la CAF… les idées ne manquent pas. Le Pôle Domotique de Guéret a lui aussi fait des propositions en accord avec ses attentes, évidemment très grandes. « On attend des leviers, pas uniquement des moyens financier, plus de coordination ». 

De nouvelles pistes à exploiter

La plus grosse nouveauté, dont ce dernier va se doter en février prochain, est l’exemple parfait d’un partenariat inter-régional. Il est présenté comme un « showroom virtuel en 3D immersive » dans lequel on pourra trouver, de l’aveu de Cécile Bourderionnet, une « bibliothèque numérique de tous les produits » en termes de domotique, histoire de gagner du temps. Au sein de ce showroom, il y aura surtout un cube « Cave », une pièce au sein de laquelle sont projetées des vidéos en 3D, commandé à l’entreprise bordelaise Immersion, « leader européen des systèmes de simulation visuelle et de réalité virtuelle sur mesure ». Table tactile, cloud privé, visio intégrée, projection murale : bien évidemment, c’est, pour Guéret, bien plus qu’un simple gadget pour impressionner les touristes. L’idée de départ, celle d’un appartement témoin, est devenue un projet avorté, « en raison d’une obsolescence assez rapide, et parce qu’on ne voulait pas avoir le monopole d’une marque sur d’autres. L’objectif de ce showroom, c’est d’attirer les professionnels qui sont mobilisés dans le maintien à domicile. C’est difficile de faire connaître les solutions existantes en termes d’aménagement de l’habitat, les dossiers sont souvent conçus par l’administration dans l’urgence. Pour solliciter les artisans locaux, on manque de coordination dans les différents bassins d’emplois », continue Cécile Bourderionnet, contactée par téléphone.

« Il faut prendre le besoin dans toute ses dimensions. Aujourd’hui, la technologie existe, ce qu’on cherche c’est l’innovation dans la façon qu’on a de travailler avec. Il manque un maillon en terme de formation continue à l’équipement (…) le mot domotique fait aussi un peu peur. Le problème, c’est souvent la petite taille des entreprises et des acteurs du secteur, qui du coup n’arrivent pas à atteindre une masse critique afin d’être rentables. On veut tenter d’accompagner l’artisan l’architecte ou le prescripteur parce que l’équipement dans un habitat coûte cher, même si le prix de l’immobilier a chuté. On a une image de l’équipement moderne assez vêtuste, cela peut amener des réticences. On veut essayer de rassurer les gens en les transformant en acteurs de la décision ». Démonstration de la domotique favorisant un maintien à domicile ou formation des professionnels (via des simulations) à un habitat plus adapté : voilà donc bien le but recherché par le « cube » et tout ce nouvel attirail technologique. Ce n’est, cela dit, pas le seul point sur lequel travaille le Pôle domotique de Guéret. Là bas, on peut déjà être étudiant en BTS, licence pro ou master 2 international et spécialisé dans la silver-économie (en tout, le campus de Guéret comptait, à la dernière rentrée 550 étudiants). Ce qu’il recherche désormais, c’est de « booster les collaborations pour appuyer les projets du territoire via le financement des stages des étudiants au sein de la communauté d’agglomération ». Il suffit de voir les projets tutorés de ces derniers, présentés chaque année, pour se rendre compte de la fertilité évidente du terreau local.

La collaboration, c’est bien là le mot clé essentiel. Depuis peu, le Pôle de Guéret l’a appliqué au champ des start-ups en développant, depuis mai 2016, un incubateur/pépinière d’entreprises. Cette dernière est de taille modeste : si « One Gates » et sa serrure connectée vont venir « tester » le marché local dans les mois qui viennent, ils ne seront que les deuxièmes derrière Carcidiag. Cette start-up a cependant pas mal fait parler d’elle en développant un kit de diagnostic du cancer. Pour Guéret, chaque chose en son temps. « Un pas après l’autre », justifie Cécile Bourderionnet. « Le secteur est segmenté, c’est compliqué d’avoir une vue d’ensemble mais se positionner comme une pépinière qui a déjà une assise, c’est aussi un enjeu de territoire. Aujourd’hui, on est davantage identifié par l’extérieur qu’au sein du département. Les start-ups ont la crainte de venir s’installer dans un territoire qu’elles ne connaissent pas ». Pour ces dernières, le Pôle a pour projet de mettre en place un système de location de bureaux, « plus agile » selon la responsable qu’un contrat d’échéance passé dans une pépinière classique. Et, pourquoi pas, de lancer une plateforme de financement participatif en partenariat avec des associations locales ? Certains de ces projets sont bien plus développés que d’autres, simplement à l’état d’ébauche. Mais l’enjeu de structurer et de mobiliser une filière éparpillée et pas toujours visible restr primordial dans les ambitions locales. « Il faut que la Creuse se place comme un territoire d’expérimentations. On ne pourra pas être compétitifs par rapport à Bordeaux, mais il y a un marché à prendre ou à booster. La dynamique régionale va nous porter plus qu’autre chose, et on pourrait être identifiés comme un lieu potentiel d’innovation, pour gagner du temps et être force de proposition ». La revanche de la Creuse se situera, à n’en pas douter, dans tous les acteurs qu’elle pourra fédérer autour d’elle.


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