Le Ceca questionne la liberté et la responsabilité en temps de crise sanitaire


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Temps de lecture 6 min

Publication PUBLIÉ LE 18/09/2020 PAR Romain Béteille

Le premier est un haut fonctionnaire, avocat et écrivain français qui, ces dernières années, s’est beaucoup engagé pour défendre les libertés publiques en particulier face à l’Etat d’urgence. François Sureau s’est dernièrement illustré dans Causeur où on a mis ses opinions en comparaison avec celles d’Alain Finkielkraut sur la question des libertés individuelles et collectives. Il est aussi l’auteur de nombreux ouvrages dont le dernier, « L’or du Temps », fait partie de la dernière rentrée littéraire. L’ancien maître des requêtes au Conseil d’État ne mâche pas ses mots face aux questions du Ceca, lui qui se déclarait déjà inquiet sur la mise en place des dispositifs exceptionnels mis en place au sein de l’état d’urgence sanitaire. Il évoque de multiples exemples illustrant, pour lui, un net recul des libertés : celle de s’informer (les atteintes au secret des sources), celle de manifester (filtrage des manifestants sur la base de leur dangerosité), et celle de la rétention de sûreté, qui a récemment fait débat lorsque le député LR des Bouches du Rhône a déposé en février un projet de loi pour en créer une à l’intention des détenus terroristes radicalisés. Pour l’avocat, qui exerce au Conseil d’État et à la Cour de Cassation, « la période est dangereuse, mais toutes le sont. On assiste à une diminution de notre amour des libertés publiques, de notre esprit de responsabilité civique. Nous avons cessé de croire au projet des libertés, cessé de dire que c’est dans le jeu des intérêts et des opinions contraires, dans ce jeu incessant des contradictions, que se forme le progrès. Tout cela suppose un optimisme que l’on est en train de perdre ». 

Droit d’urgence et privation de libertés

Selon François Sureau, la crise sanitaire et ses conséquences démocratiques, avec leur lots de nouvelles mesures régulières, « nous transforme en esclaves sanitaires. Nous ne pouvons plus penser les atteintes aux libertés publiques comme procédant de l’attitude naturelle d’un État qui souhaiterait nous opprimer. Nous ne cessons de demander de mille manières cette oppression. L’État a décidé le confinement pour éviter de se voir reprocher des choses, ce qui montre qu’il est dépassé par une société atomisée et violente, peu capable de se réformer. Il ne sert plus un projet politique clairement identifié et se revanche sur les libertés de tous parce qu’il ne parvient pas à limiter les actions malavisées de quelques-uns ». Dans un parallèle courtois sur l’air du « on ne peut plus rien dire » et en farouche opposant (bien qu’il ne la nomme jamais) de la « cancel culture », François Sureau poursuit : « on assiste aussi à une augmentation de l’intolérance générale, notamment en matière de liberté d’expression. Nous sommes dans une société des droits ou chacun revendiquerait un droit individuel ou communautaire sur l’ensemble de l’espace social. L’État est l’arbitre protecteur qui distribue la louange et le blâme ». Il prend pour justifier son propos un exemple juridique récent : la « loi Avia » à l’encontre des contenus injurieux sur internet, très largement censurée par le Conseil Constitutionnel mais pourtant adoptée en mai dernier. « Qui va définir la haine ? Le gouvernement n’a pas suffisamment de force en lui-même, il va être conduit à la définir en fonction de ce que chaque communauté blessée appelle la haine à son endroit ».

Il évoque, enfin, un État de plus en plus intrusif et répressif, dessinant aussi l’hommage aux soignants et les multiples consultations des experts médicaux comme une « abdication de la démocratie politique », faisant ainsi directement référence aux propos du ministre de la Santé, Olivier Véran invoquant régulièrement les « blouses blanches ». « La méthode scientifique est incompatible avec le tempo de l’action politique, c’est un problème d’arbitrage entre nécessités. Les soignants ont une conception de la personne qui consiste à vouloir la maintenir en vie. Quand on mesure les conséquences de l’épidémie en termes économiques ou sociaux, on voit qu’elle défavorise les élèves issus de milieux modestes. Nous sommes sortis du confinement sans l’assentiment de la totalité des épidémiologistes mais on donne l’impression de les suivre parce que notre système constitutionnel s’est avéré déficient à l’épreuve de la pandémie ». D’où la question : « en écartant le droit normal pour créer un droit d’urgence, ne sommes-nous pas en train de devenir un Etat d’exceptions ? ». Pour l’avocat, la panique face à la montée des violences est surtout une affaire d’abandon et de perte de foi. « Tant que nous pensions que nous pouvions traiter le mal (religion, politique), nous n’avions pas perdu l’espoir de construire une société civilisée. Comme nous semblons avoir perdu cet espoir progressiste, il nous devient insupportable et fait l’objet de discours incroyablement violents comme si nous voulions à toute force nous en séparer radicalement. Si on continue à suivre cette pente, ça va mal se passer », termine-t-il, alarmiste. « La garantie des droits est proportionnée à la capacité de l’État à la mettre en œuvre, ce qui la met à sa discrétion ».

Vie et mort du pouvoir médical

Le deuxième intervenant de cette 26ème université d’été va plus loin face à ce qu’il dénonce comme un diktat de la santé. Il s’est fait remarquer à plusieurs reprises ces derniers mois en mettant en garde contre une « obsession sanitaire » et ses propos à la réception pour le moins contrastée sur le « pan-médicalisme », autrement dit le pouvoir accordé à la médecine, rejoignant ainsi les propos de François Sureau. Mais le philosophe André Comte-Sponville persiste et signe à la tribune : « Laissez-nous mourir comme nous voulons, le cancer et la faim font plus de victimes que le coronavirus. La santé est en train de prendre dans nos sociétés une telle place qu’il m’arrive de m’inquiéter. Avant la santé était une chance, maintenant c’est une technique, un marché voire un droit. On croit de moins en moins au salut, ce qui fait qu’on se préoccupe de plus en plus de la santé. Qu’on se soit affolé à ce point pour une maladie dont l’âge moyen du décès est de 81,2 ans prouve que la mort est devenue insupportable. Faire de la santé la valeur suprême alors qu’elle n’est même pas une valeur du tout mais un bien, c’est lui confier la gestion de nos vies voire de notre société. Ne pas attraper la Covid-19, ce n’est pas un but suffisant dans l’existence. Si on compte sur la sécurité sociale pour tenir compte de spiritualité ou de civilisation, on est quand même mal barrés. », ironise-t-il. « Dieu et Marx sont morts, vive les antidépresseurs ! ». 

Le philosophe met en garde : cela ne va pas aller en s’améliorant. « La place de la santé va être de plus en plus grande en raison des progrès de la médecine, dont je me félicite par ailleurs, jusqu’à devenir inquiétante. Pourtant alarmiste sur la société post-confinement, il fait aussi une forme d’aveu de faiblesse. « Qu’aurais-je fait à la place de Macron ? Ce qui m’a le plus effrayé, c’est que j’aurais fait la même chose : le confinement. Pas parce que je pensais que c’était la meilleure solution mais parce qu’il y avait une telle pression médiatique, médicale et une telle angoisse dans la population que si Macron n’avait pas confiné, il y aurait eu une telle révolte dans le pays qu’il serait devenu ingouvernable. L’ordre sanitaire, ça veut dire que le peuple n’est plus souverain. On nous a imposé la plus grande restriction de libertés qu’aucun de nous n’ait jamais vu depuis 1945, cette fois au nom de la santé. La santé est importante mais l’économie l’est aussi. Sans elle, on meurt tous et bien plus vite que sans médecine. Je suis plus inquiet pour l’indépendance ce notre pays et la liberté de mes enfants que pour ma petite santé de quasi septuagénaire. Qu’on augmente le budget de la santé, je ne suis pas contre mais s’il faut sacrifier celui de la défense ou de l’éducation, je dirais non »… 

Accusé de faire de l’âgisme à ses heures, André Comte-Sponville n’est jamais très loin de sa dichotomie contestée entre la santé des personnes âgées et l’avenir économique des jeunes. Pourtant, il n’en a pas dévié devant les micros du Ceca. « L’éducation de nos enfants est bien plus importante que la santé de ceux d’entre nous qui ont plus de 65 ans. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas soigner les vieux, mais ça veut dire qu’il ne faut pas oublier les jeunes. Je suis pour la solidarité intergénérationnelle, comme tout le monde, mais on oublie toujours de dire qu’elle est traditionnellement orientée. N’importe quel parent ou grands-parents donnerait sans hésiter sa vie pour ses enfants ou petits-enfants mais lequel d’entre nous accepterait que ses enfants sacrifient leur vie pour la nôtre ? Il faut remettre la solidarité intergénérationnelle à l’endroit, on est en train de faire l’inverse et on ne me fera jamais dire que c’est un progrès. Ce que je ne supporte plus, c’est qu’on veuille que nos jeunes gens sacrifient l’amour de la vie à la peur de la mort ».  

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