Le handicap vu de l’intérieur


Yoan Denéchau
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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 24/01/2019 PAR Yoan DENECHAU

« Pour moi, le handicap c’est un détail. Un gros détail de 150 kilos » : son fauteuil. Lucie Carrasco raconte, non sans humour, son histoire. Atteinte d’amyotrophie spinale, elle perd une partie de ses capacités motrices à l’adolescence, l’obligeant aujourd’hui à se déplacer en fauteuil. Autre détail sur Lucie Carrasco : elle est une créatrice de mode reconnue. Pendant son hospitalisation, qui a duré trois ans, elle dessinait ses premiers modèles. Ils ont conduit au lancement de sa première collection en 2000.

« Le handicap ne m’a pas empêché de réaliser mon rêve »

L’hospitalisation de Lucie Carrasco a été difficile. Elle raconte également sa sortie, et le retour au collège, dans sa classe de troisième. Elle a dix-huit ans. La styliste disposait d’un Auxiliaire de Vie Scolaire (AVS, appelés aujourd’hui Accompagnant des Élèves en Situation de Handicap). Pourtant, à cette période, Lucie n’était pas aussi dépendante qu’elle ne l’est aujourd’hui. Elle pouvait encore utiliser ses bras pour écrire ou taper sur l’ordinateur que l’Éducation nationale avait mis à sa disposition. « Mon AVS a passé la pire année de sa vie », s’amuse la jeune lyonnaise, qui poursuit « on m’a dit que je n’avais pas le choix, je l’ai très mal pris. Je n’en avais pas besoin. Je ne pouvais jamais être seule, c’était presque humiliant. On ouvre les études à tout le monde, mais les personnes ‘special’ (prononcer à l’anglaise, elle n’aime pas le mot « handicapé ») ne sont pas indépendants. Aujourd’hui je suis partagée sur les AVS. Pour certains handicaps c’est nécessaire ».

En 2012, Lucie Carrasco a créé l’association « Roule Toujours », parrainée par l’acteur Jean-Marc Barr (qui a notamment interprété Jacques Mayol dans Le Grand Bleu, de Luc Besson en 1988). Dans le cadre du projet Roule Toujours, Lucie est partie traverser les États-Unis d’Est en Ouest en van adapté et en fauteuil roulant. Dans chacune des villes disposant d’un hôpital où elle est passée, elle est allée rendre visite à des enfants ou des jeunes adolescents. Elle se rappelle avec émotion d’un moment où elle a vu « un bus scolaire, jaune comme dans les films, et un gamin en fauteuil montait avec ses copains. Il pouvait aller à l’école avec ses copains. En France, on se déplace en véhicule adapté, on est isolé, parce qu’en France, le handicap fait peur ». La pitié vis-à-vis du handicap, Lucie Carrasco ne l’accepte pas : « on a tous des souffrances, pas seulement les handicapés ».

« Je veux poser un regard neuf sur le handicap de mon enfant »

Tout le monde ne vit pas le handicap comme le fait Lucie Carrasco. Les parents d’enfants en situation de handicap ont parfois des difficultés à appréhender la situation. C’est le cas d’Anna, qui a des jumelles de 12 ans. Camille est arrivée dix minutes avant sa sœur Emma, après des complications lors de l’accouchement. Cette dernière est née sourde. Anna a fait le choix d’arrêter de travailler pour se dédier entièrement à ses filles, tandis que son époux continuait à travailler. 8 mois de congé maternité pour Anna, onze jours pour le père. Elle raconte « mes filles sont nées presque au même moment, mais ont des parcours complètement différents. Les vacances, l’école, la famille, la vie au quotidien, quelle galère… Je sacrifie des activités avec Camille parce que je sais qu’Emma ne peut pas les faire, ou réciproquement. Je hais ces fichues dix minutes ». Aujourd’hui, Anna sait ce qu’il y a dans ce laps de temps selon elle : le temps qu’il faut pour éveiller des consciences, faire poser un regard neuf sur le handicap, à commencer par son regard à elle.

 « On n’est pas de bons éducateurs si on ne dit pas tout »

Philippe a quatre enfants, dont deux sont porteurs de syndromes, le plus âgé et le plus jeune. Le premier, Daniel, a une maladie rare, qui a failli lui coûter la vie dans son enfance. Le benjamin, David, est né inerte. Il l’est resté pendant cinq mois. « On aurait adoré qu’il pleure la nuit, raconte Philippe… ça peut sembler sadique, mais ça nous aurait rassurés. On aurait aimé qu’il nous réveille, qu’il nous fasse un signe de vie. Son premier son a été un rire, après que sa mère lui ait caressé le bras lors d’un diner. Je peux vous dire que je me rappelle de la marque du jambon qu’on mangeait et du nombre de tranches dans la boîte ». Les parents de David l’ont ensuite inscrit à l’école, où l’enfant a accusé un certain retard dû à sa longue période d’inertie. Arrivé en primaire, Philippe se rappelle s’être battu pour que son fils soit en classe ULIS (un dispositif permettant la scolarisation d’élèves en situation de handicap). Le problème pour Philippe « c’est que les AVS ou les enseignants ne mettaient en avant que les progrès de l’enfant. C’est très superficiel… On ne peut pas être de bons éducateurs, parents, AVS si on ne parle que du progrès… C’est impossible, il faut parler des difficultés ou des échecs, aussi bien de l’enfant que du parent ». Tout l’enjeu de l’inclusion scolaire d’un enfant handicapé selon Philippe est ici : oser dire la vérité, dire ce qu’est l’éducation.  

« Je n’ai pas pu devenir juge parce que j’étais handicapé »

Bonny est un non-voyant Franco-béninois. Son rêve est de devenir juge. Pour lui, « le handicap n’est pas le fait de la personne touchée, mais de son environnement. Là par exemple, si nous subissons une coupure d’électricité et que nous sommes dans le noir, qui est handicapé ? Moi ou vous ? » Ce sens de l’humour et cette répartie l’ont amené jusqu’à obtenir un master en droit en 2013. Bonny a ensuite décidé qu’il voulait devenir juge au Bénin. Il a déposé son dossier, qui a été accepté parce qu’il n’y avait pas de certificat médical attestant de son handicap. « Le jour de mon entretien, le représentant du ministre de la Justice a remarqué mon handicap et il m’a dit ‘monsieur vous n’avez pas le droit de postuler, vous êtes handicapé, je vous demande de partir’ », se souvient Bonny. Depuis, il est arrivé à l’Université de Bordeaux où il prépare une thèse intitulée ‘Handicap et travail : étude comparée des systèmes juridiques béninois et français’. Selon lui, « le handicap ne doit pas nous différencier les uns des autres, on n’est pas handicapé ou normal. Le handicap ne doit pas nous empêcher de vivre, ni d’avoir des rêves et tout faire pour les réaliser».

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