Le juge Lambert invité à débattre à l’Institut du Journalisme de Bordeaux


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Temps de lecture 4 min

Publication PUBLIÉ LE 22/01/2015 PAR Romain Béteille

« La machine judiciaire est capable de vous briser », affirmait hier soir dans les locaux de l’IJBA (Institut du Journalisme Bordeaux Aquitaine) Jean-Michel Lambert, ancien juge d’instruction reconverti en auteur de romans policiers. Il était l’invité de l’institut dans le cadre d’un débat organisé par l’ODI (Observatoire de la déontologie de l’information) Bordeaux 5.0 qui avait pour thème « Les relations presse-justice et traitement des faits divers : quelle place pour la déontologie ? ». Dans son dernier livre, « De combien d’injustices suis-je coupable » paru en 2014, il revient sur l’affaire qui aura le plus tragiquement marqué sa carrière, toujours irrésolue à ce jour : le tragique assassinat du petit Grégory Vuillemin âgé de 4 ans en 1984 à Lépange-sur-Vologne, dans les Vosges, et sur la « tempête médiatique » qui a suivi. « Ce livre est avant tout un témoignage des injustices dont les magistrats peuvent se rendre coupables », affirme le juge Lambert, « chaque magistrat devrait se poser la question, tout en sachant qu’il n’aura jamais la réponse ». 

Pris dans un tourbillonInterrogé par Marie-Christine Lipani, chercheure en journalisme et directrice adjointe de l’IJBA, Jean-Michel Lambert déclare encore être interpellé par d’anciens prévenus : « J’ai découvert il n’y a pas si longtemps deux injustices dont j’étais l’auteur lorsque j’étais à Epinal. Au salon du livre, une femme et un homme sont venus me voir, l’un avait été déclaré coupable d’un vol dans une maison de la presse en 1986 et l’autre d’un cambriolage et condamné à 5 mois de prison. Ils sont venus me voir sans la moindre rancoeur, et j’ai été touché par ce poids qu’ils avaient du porter pendant tant d’années ». 

L’un des rebondissements principaux de l’affaire Grégory est le meutre de Bernard Laroche, libéré un mois plus tôt, de la main de Jean-Marie Vuillemin, en mars 1985. Le juge Lambert estime « avoir été l’un des artisans de cette abjection. Je considère le fait d’avoir libéré Bernard Laroche comme un accident de parcours. J’ai été pris dans un tourbillon médiatico-judiciaire, j’étais au coeur de l’action et je n’avais pas le temps d’interroger ma conscience », avoue-t-il. Une tempête dont il s’éloigne d’ailleurs peu de temps après, en 1986, et fait son retour à la barre en 1987, avec un sentiment de culpabilité toujours fort : « la culpabilité est née d’une révolte, celle de voir que dans beaucoup de médias, on continuait de considérer Laroche comme coupable. Depuis, j’ai fait mon examen de conscience, je sais quelles erreurs j’ai commises ou non ». 

Une surmédiatisation des faits divers ?En complément de son témoignage, Jean-Michel Lambert était aussi invité à répondre aux questions de plusieurs journalistes (AFP, l’Est Républicain et Sud Ouest) et des étudiants de l’IJBA sur les relations entre la presse et la justice, et la médiatisation croissante des faits divers en France. Lorsque Vincent Cerrano, étudiant, lui demande quel regard il porte sur le traitement médiatique des faits divers, il répond sans détour : « Je n’ai même pas suivi l’affaire d’Outreau… Je trouve que les faits divers prennent une place de plus en plus importante dans les médias. Sur les infos régionales de France 3, par exemple, lorsqu’un fait divers survient, on interroge les voisins, les amis… je trouve ça déplorable, c’est un nivellement par le bas de l’information que je trouve choquant, il y a un certain voyeurisme dont je ne suis pas un grand amateur ». 

Patrick Eveno, historien des médias à la Sorbonne et président de l’ODI (Observatoire de la Déontologie de l’Information), s’oppose à cette vision, affirmant que « le fait divers intéresse le public, la presse de masse s’est d’ailleurs constituée grâce à lui. S’il y en a plus maintenant, c’est parce que les chaines de télévision s’en sont emparé. Les faits divers sont très structurants dans la société tout comme les contes de Perrault où les attraits d’Antigone, c’est un acte journalistique majeur et il doit le rester ». 

Sur la question dont la justice voit la presse, là aussi, Jean-Michel Lambert a un avis très tranché. Il a d’ailleurs manifesté plusieurs fois son regret de ne pas voir dans les rangs des spectateurs du débat d’éventuels étudiants ou diplômés de l’Ecole Nationale de la Magistrature, affirmant que « cela aurait pu élever le débat de confronter les deux avis ». « Il y a un rejet des médias par les magistrats. La seule relation établie passe par des communiqués de presse, mais les journalistes qui veulent faire un travail d’investigation ne peuvent pas se contenter de cela. Il faut savoir que pour le public, une personne qui est mise en examen est déjà considérée comme coupable, ce qui représente un travail de nuanciers essentiel pour les journalistes ». Le juge Lambert a également insisté sur le côté humain plus que sur le formel et le structurel, déclarant qu’à ce niveau, il y avait « une vraie frontière. C’est très facile pour un journaliste de faire du mal. Les médias auraient pu me détruire. Si je me suis reconstruit, c’est parce que j’ai eu beaucoup de chance ». 

L’IJBA, qui organise régulièrement des débats avec des figures médiatiques, compte bien poursuivre sur sa lancée. Le 28 janvier prochain, l’Institut organise, toujours dans ses locaux de la place Jacques Ellul, à Bordeaux, un débat à 18 heures sur les « caricatures, blasphèmes et libertés d’expression » en présence notamment de René Otayek, directeur de recherche au CNRS et politologue à Sciences Po Bordeaux. Un débat qui s’annonce riche et qui ne devrait pas manquer de rebondir sur l’attentat tragique du 7 janvier dernier… 

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