Pauvreté : la précarisation s’installe durablement


Secours Catholique
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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 10/11/2017 PAR Alizé Boissin

Il vient presque tous les jours, bonnet rouge sur la tête, et trois ou quatre pulls pour lui donner bien chaud au corps. Alain est un habitué de la Halte du Secours Catholique de Bordeaux depuis près d’un an « parce que les repas ne coutent que 20 centimes ». Cet homme de 74 ans assure qu’il gagnait bien sa vie.  Aujourd’hui, s’il a besoin d’aide c’est parce que il y a eu des problèmes avec la justice, « une sale histoire avec une chauffeuse de car il y a 10 ans ». Résultat de la « sottise » il doit 130 000 euros à la victime. Une somme bien trop importante pour sa petite retraite. Désormais, ne touchant aucune aide, tous les mois il est a découvert. Sa famille, il ne veut pas en entendre parler. Alors chaque matin il prend le bus depuis Floirac et vient chercher de quoi se réchauffer et manger un peu. Quand son budget est plus confortable il va à St Michel, à la Marmite, où les repas coutent trois euros. Alain ne reste jamais bien longtemps à la Halte, il passe simplement avant d’aller à la bibliothèque, emprunter des livres d’Agatha Christie pour les lire dans les parcs. 

Les femmes et les jeunes en ligne de mire 

 A la Halte de Secours Catholique les parcours de vies se croisent mais ne se ressemblent pas. Il y a Alain, Marco, la famille nombreuse albanaise arrivée ce matin et tous les autres. En six ans, le Secours Catholique rue de Lafaurie de Monbadon est passé de 50 accueils à 150 par jour, « une misère cachée ». Aujourd’hui en publiant leurs derniers chiffres sur la pauvreté en France, il espère bien faire entendre « leur cri du cœur » selon les mots du Président du Secours Catholique de Gironde, Alain De Brugière.

A l’échelle nationale, ce sont la situation des femmes, des enfants et des jeunes qui sont mises en avant. Les femmes représentent la majorité des adultes rencontrés par les équipes en 2016. Elles viennent chercher de quoi se nourrir dignement mais aussi une écoute attentive, « un peu d’humanité ». Cette surreprésentation des femmes par rapport aux hommes s’explique par la forte proportion de mères isolées et par l’augmentation plus récente de la proportion des femmes seules dont les ressources et pensions de retraites sont faibles. Les enfants, quant à eux, représentent 47% du nombre total de personnes rencontrées, une part qui reste stable au cours du temps.

Infographie des chiffres de la pauvreté en Gironde selon le Secours Catholique

Du côté des personnes accueillies en Gironde, on note une légère augmentation des hommes seuls (+0,3%) et une baisse importante des mère seules (-5,6%). Le nombre de couples aidés avec enfants a lui beaucoup augmenté (+ 4,8%). Parmi les tendances du département on note une très importante augmentation des étrangers en provenance d’Europe de l’Est (hors Union Européenne) passant de 3,9% en 2015 à 14,2% en 2016. De la même manière, la paupérisation provoque une augmentation des personnes sans droit au travail, de 4% en 2015 à 13,3% en 2016. Et pour en finir avec ces comparaisons, le rapport note une diminution des logements stables de 83,1% en 2015 contre 76% en 2016, donc une augmentation des logements précaires. Des chiffres sur la pauvreté qui viennent contrebalancer la croissance économique positive de la métropole et son flux de touristes toujours plus important. Un paradoxe que le Président souligne par l’adage suivant « la grandeur d’une société se reconnaît à la manière dont elle traite ses sujets les plus fragiles »

Préjugés, les mots qui blessent

Depuis plusieurs années déjà, le Secours Catholique accompagne ses chiffres avec les préjugés les plus entendus sur les personnes en situation de précarité. Parce que « les mots aussi peuvent blesser ces personnes déjà très affectées moralement », insiste Anne-Marie Guillembet, vice-présidente du Secours Catholique de Gironde. Ils sont bien trop nombreux, mais l’association a choisi de déconstruire huit préjugés courants. Les étrangers vivent-ils des allocations familiales ? Faux, répond le rapport. Au sein des ménages rencontrés, le niveau de revenu mensuel médian des ménages étrangers (139€) est bien plus faible que celui des ménages français (930€). De manière générale quelle que soit l’origine de leurs ressources, les ménages étrangers rencontrés vivent en quasi-totalité au dessous du seuil national de pauvreté. Une grande précarité qui s’explique en partie par l’absence de ressources des personnes étrangères accueillis.

Parmi les préjugés les plus courant il y a aussi celui-là « les pauvres sont des assistés et des fraudeurs ». Faux, encore une fois. D’abord parce que les minima sociaux en France ne sont pas plus élevés en France que dans le reste de l’Europe. Une personne seule en France perçoit 655€ de minima sociaux, 772€ en Allemagne ou encore 699€ en Belgique. Enfin, le montant de non-recours aux aides est plus élevé que le montant de la fraude. Par exemple, en 2016, 31% des ménages français ou étrangers en règle avec au moins deux enfants de moins de 20 ans ne touchent pas les allocations familiales. De même, le taux de non-recours au RSA augmente par rapport à 2015 passant de 38% à 40%. Au regard des chiffres du Secours Catholique, l’association pose encore la question « qui croit encore que les démunis ont la belle vie ? ». Et si les journalistes devaient aussi se remettre en question ? L’idée est suggérée par le rapport qui chiffre que 66% des personnes interrogées affirment que les préjugés viennent en partie des médias. 

Révolution fraternelle

Pourtant derrière les chiffres, les situations sont bien réelles. Le Secours Catholique regroupe à la fois des personnes pauvres mais aussi 67 900 bénévoles en France, pour 750 en Gironde. Des bénévoles qui ne sont pas suffisant pour répondre à toute la misère. L’accueil de Bordeaux par exemple n’est pas ouvert le dimanche contrairement à ceux de Paris. Au sein de l’association on l’assure pourtant les dons et le temps des bénévoles sont essentielles pour qu’une révolution fraternelle soit est en marche. Christophe Venien, bénévole en est certain :« les meilleurs experts de la pauvreté, c’est quand même ceux qui la vivent ». Ainsi, l’association essayent d’inclure de plus en plus les personnes accueillies aux activités quotidiennes, « comme Marco qui fait la plonge ». En donnant plus de place aux concernés, l’association espère bien nouer des liens avec eux, « pour les remettre dans le système, leur donner confiance ». 


Pour faire un don au Secours Catholique, plus d’informations sur le site secours-catholique.org

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