Les élèves de retour dans les lycées, exemple à La Réole


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Publication PUBLIÉ LE 02/06/2020 PAR Romain Béteille

Ce matin, au lycée Jean Renou de La Réole, c’est un directeur « serein et content de ré accueillir ses élèves » qui nous a guidé dans l’établissement, au moment de la reprise. Distanciation sociale, effectif dispersé à quinze élèves par classe, barrières pour respecter un sens de circulation à l’entrée de l’établissement… Même les cuisines ont choisi de limiter le plus possible le contact entre le personnel et les élèves. Dans la salle du réfectoire, on est passé d’un effectif de 188 à 45 personnes accueillies. Patrice, le chef de cuisine, confirme.

« On est déjà habitué au port du masque, aux gants et au gel hydroalcoolique de notre côté. Par contre, on a adapté le sens de la marche, pour éviter les croisements. On a aussi inversé le sens de débarrassage de la vaisselle, les élèves débarrassent eux-mêmes pour éviter les échanges avec le personnel. À l’entrée, on leur présente un plateau à l’avance, des couverts emballés dans une serviette. Ils peuvent toujours choisir leur entrée mais on la leur distribue ». Associée au marché Val de Garonne, la cuisine a « pas mal de stocks à vider, notamment au niveau du surgelé. En général, on s’arrange pour les vider vers la mi-juin, là on a un mois et demi de retard. On a fait deux inventaires pendant le confinement, notamment pour donner certains produits au Secours Populaire ». 

lycée La Réole

Un accueil fractionné

Dans un local au sous-sol, les masques lavables sont encore posés sur la table, pour en prêter aux élèves qui n’en auraient pas. L’internat, qui d’habitude regroupe une cinquantaine de lycéens, n’a pas encore rouvert, faute de demandes. Le directeur de l’établissement, Vincent Gorse, affirme que la priorité est avant tout donnée à la « remobilisation, notamment des élèves les plus fragiles mais aussi des autres, histoire de redonner un cadre et des habitudes de travail. Tous les emplois du temps ont été refondus pour s’adapter à la présence réelle des élèves. Il y a eu des adaptations physiques et techniques dans les salles de classe avec la volonté de préparer l’avenir plutôt que d’essayer de terminer coûte que coûte une année scolaire déjà altérée ». 

« Concrètement, l’accueil est fractionné à raison d’une journée par élève. Deux jours sont dédiés aux secondes (qui rentreront ce jeudi), deux pour les première (la semaine prochaine). Comme les terminales sont peu nombreux, ils seront accueillis au fil de la semaine ». Tout comme dans les autres lycées de la région (221 selon le rectorat), la question qui reste encore en suspens est évidemment la présence effective des élèves en ce mois de juin.  » Si les effectifs sont moins importants, on a la capacité de les accueillir deux jours consécutifs », termine le chef d’établissement. « Ça se fera à l’appréciation et au discernement des chefs d’établissement, les capacités d’accueil dépendront à la fois de l’autonomie de l’établissement et du projet pédagogique proposé », ajoute la rectrice de l’Académie de Bordeaux, Agnès Bisagni-Faure, qui parle aussi d’accompagnement « personnalisé » et « d’appréciations littérales sur la remobilisation des élèves ». 

De nouvelles pratiques ?

La remobilisation des élèves, notamment de ceux qui ont eu des soucis de décrochage, est donc de mise partout. Mais qu’en est-il des enseignants ? À La Réole, certains avouent que le numérique a ses limites. « On a eu la moitié des élèves qui ont rendu leurs devoirs, ce n’est pas suffisant par rapport à ce qu’on pouvait attendre », souligne l’un d’entre eux. Pour Camille Estournès, professeur de littérature pour les secondes et première (elle gère quatre classes dont une option spéciale « humanité littérature et philosophie », le travail en virtuel « restait dans une perspective très individuelle. Certains élèves se sont isolés ». D’autant que, pour certains, la connexion n’était pas toujours au rendez-vous., sans parler des ordinateurs eux-mêmes : 1700 ont été prêtés aux élèves qui n’en avaient pas par la collectivité régionale.

« Les classes virtuelles ne fonctionnaient pas toujours correctement, les outils étaient saturés, notamment au début. Au fur et à mesure des semaines, on a aussi senti une baisse de motivation des élèves, même ceux qui s’étaient impliqués dans leur travail. Au bout d’un moment, ils ont eu du mal à se relancer, y compris après les congés de printemps. Pour ceux qui avaient des habitudes de travail en autonomie, ça a été bénéfique mais ça reste la minorité, les autres ont besoin d’un accompagnement plus personnalisé, d’un coaching qu’on a essayé de mener. De notre côté aussi, on a été très surpris, on n’était pas si prêts que ça », avoue-t-elle encore. « On a beaucoup produit, presque trop, de masses de travail pour les élèves, certains se sont sentis submergés. On a essayé de calibrer au mieux au fur et à mesure des semaines, en développant aussi des pratiques qu’on pourrait garder. Par exemple, j’ai fait un enregistrement des appréciations d’un devoir que j’ai fait passer à tous les élèves, ça s’est révélé plus efficace que des annotations dans la marge ».

« Sensation étrange »

Une fin d’année « utile pour préparer la suite », c’est en tout cas comme ça qu’a été présentée cette réouverture qui garde tout de même en ligne de mire la rentrée de septembre. « On aura à prendre en compte beaucoup de diversités de parcours », continue l’enseignante. « Pour certains les acquis auront été très solidifiés et pour d’autres moins, on aura donc une rentrée très particulière. Mais les vacances doivent rester des vacances parce que la période a été fatigante pour tout le monde, il ne faut pas trop faire durer un entre-deux. Certains élèves nous ont fait état de rythmes pas toujours sains, ce qui est aussi un signe d’anxiété. Dans les jours à venir, on sera surtout occupés à faire un bilan des acquis, des difficultés, à mettre l’accent sur les outils nécessaires à l’année prochaine pour que les élèves soient le plus sereins possible en septembre sans qu’ils aient l’impression d’avoir perdu le trimestre (…) On a attendu ce retour, c’était une manière de conclure l’année qui s’effilochait un peu ».  

Emma et Marine, toutes les deux en première au lycée de La Réole, évoquent une « sensation étrange » au moment d’entamer cette reprise post-confinement. La première, qui est aussi l’exception régionale puisqu’elle est la seule élève de Nouvelle-Aquitaine à suivre la spécialité « Occitan », parle même d’une « situation un peu grotesque dans laquelle on va faire un compte-rendu des enseignements du confinement, où on n’aura pas cours tous les jours. On va se remettre en marche pour repartir en vacances ensuite ». Pour Marine, c’est plutôt l’occasion d’un « bilan pour clôturer l’année », marqué notamment par un « suivi de l’orientation moins mené. On a fait un retour une semaine avant le confinement, les choix ont été compliqués ». Du côté de la collectivité, si la dernière séance plénière a été l’occasion de se concentrer sur la précarité étudiante, on prépare déjà la rentrée des lycées, généraux comme professionnels ou agricoles, depuis début mai. Pour la rentrée de septembre, elle maintient la gratuité des manuels scolaires pour tous les lycéens de terminales des filières générales et technologiques en format numérique. 

Inquiétudes professionnelles

Pour son président, Alain Rousset, ce déplacement ce mardi 2 juin à La Réole était bien évidemment une manière de marquer « le souci que nous avons pour les lycées, autres que bordelais. Le but pour nous est aussi de dialoguer avec le personnel, voir comment accompagner des élèves qui ont eu des difficultés à suivre les cours, essayer de s’adresser à un public qui va passer un examen ou qui a besoin de s’orienter. Il y a un effort pédagogique de la part du corps enseignant et des CPE pour détecter ceux qui ont mal vécu ce confinement, pour leur donner une vraie chance. La France reste une lanterne rouge de l’ascenseur social et de l’échec scolaire ». Jamais absent dès qu’il s’agit de revendiquer la décentralisation, l’élu a appelé de ses vœux une « éducation qui devrait être régionalisée… comme la santé d’ailleurs » et avoué ne pas « décolérer sur la loi Pénicaud » sur l’apprentissage, qui va selon lui aboutir à des « conséquences caricaturales ».

Il s’est également dit « heureux » de l’insistance du ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer au sujet des lycées professionnels, cités comme étant « au cœur des priorités ». Ce dernier a d’ailleurs précisé ce mardi les premiers contours d’un « été pro » avec les lycées professionnels. « On a ce souci du décrochage, notamment pour les CAP, Bac Pro et BTS qui n’auront pas d’emploi tout de suite. L’important est qu’ils aient un diplôme, en attendant une vraie reprise, probablement pas avant 2021. Certains élèves de ces lycées font partie des plus fragiles ». Le projet d’orientation devrait donc figurer au centre de l’attention de cette reprise, qui se fera de toute façon au compte-gouttes. Depuis le 11 mai, en moyenne, 22% des écoliers français ont repris le chemin des cours.

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