Les futurs ingénieurs agros confrontés à l’agro-écologie


La formation des ingénieurs agronomes est largement ouverte sur l'agro-écologie et les questions économiques et sociétales qui en découlent.

Les futurs ingénieurs agros confrontés à l'agro-écologie et aux enjeux sociétauxBordeaux Sciences Agro
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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 19/05/2022 PAR Cyrille Pitois

Sabine Brun Rageul, directrice de Bordeaux Sciences Agro, impulse depuis un an un nouveau plan stratégique à l’école d’ingénieurs agronomes de Nouvelle-Aquitaine. En s’appuyant sur un pilier : l’accompagnement des transitions de l’agriculture et notamment les évolutions agro-écologiques des filières et des territoires. Au moment où Bordeaux retrouve son Salon de l’Agriculture Nouvelle-Aquitaine, le point de vue des ingénieurs agronomes est au cœur du partage d’expériences entre monde rural et populations urbaines. Avec cette particularité que l’ingénieur agronome en formation est aujourd’hui plutôt une femme d’origine urbaine.

@qui! : Les attentes de la société sont fortes vis-à-vis de l’agriculture à la fois en matière de besoin alimentaire, de qualité et d’environnement. Comment préparer de futurs ingénieurs agronomes à tant de « pressions » ?

Sabine Brun Rageul : C’est dans l’ADN des écoles agro de former les jeunes, et non de les formater, à la diversité des agricultures. Il est important de ne pas opposer les modèles et les choses ne cessent d’évoluer depuis l’agriculture de l’après-guerre très industrialisée qui devait répondre à des besoins urgents d’alimentation des populations.

Au sein de nos écoles, nous avons à cœur de nous inscrire dans l’accompagnement des transitions de l’agriculture. Nous avons travaillé et coconstruit avec une centaine de parties prenantes, nos enseignants chercheurs, nos élèves et un certain nombre de partenaires proches, un plan stratégique « Bordeaux Sciences Agro 2030 » qui rassemble nos objectifs pour accompagner au mieux les filières de productions agricoles, agroalimentaires et agriforestière des territoires ruraux. Et l’un des quatre axes majeurs qui est ressorti de ce travail, c’est justement l’accompagnement des évolutions agro-écologiques, auprès des filières et des territoires. C’est au cœur de nos préoccupations.

@! : Concrètement, comment est-ce inscrit dans vos parcours de formation ?

S. B.R. : Nous avons lancé depuis plusieurs années la spécialisation dédiée à l’étude des pratiques agroécologiques. Nous travaillons aussi à faire en sorte que l’agroécologie imprègne l’ensemble de nos enseignements. Pour nous, l’agro-écologie est le nouveau nom du développement durable. La transition environnementale est un pilier, mais nous ne perdons pas de vue le pilier économique et le pilier social pour doter nos ingénieurs d’une vision pragmatique de l’accompagnement. Le futur ingénieur doit être en mesure de maîtriser les outils techniques de l’ingénieur, mais aussi devenir un ingénieur qui prend en compte la dimension économique de management dans l’entreprise, également en capacité d’assumer sa responsabilité sociétale. 

Médiation des conflits d’usage en forêt

@! : Cette évolution stratégique va-t-elle modifier l’ensemble des parcours de formation ?  

S. B.R. : Le nouveau plan date de l’an dernier. C’est un chantier prioritaire, au sein d’un plan stratégique qui s’étend sur dix ans. Mais nous sommes déjà en train de monter deux nouvelles formations. Dans le domaine forestier, le master spécialisé labellisé, Conférence des Grandes Ecoles “Médiation territoriale et responsabilité sociétale des entreprises appliquée aux filières forêt-bois”. Il s’agit de répondre aux nouvelles problématiques d’incompréhension ressenties par la société. Par exemple, les usages récréatifs du monde rural percutent parfois les contraintes de développement économique des propriétaires forestiers. Le deuxième exemple est le lancement d’un bachelor, à la demande des grandes maisons de Cognac, avec une dimension managériale et une orientation à l’accompagnement vers l’agroécologie.

@! : L’espace rural n’est il pas en train de devenir un enjeu sociétal, économique, écologique de plus en plus disputé ?  

S. B.R. : Je peux vous citer l’exemple du Château de Luchey-Halde, l’exploitation viticole de notre école, à la fois site d’expérimentation pour nos enseignants chercheurs et terrain de jeu pédagogique pour nos étudiants.  C’est un vignoble urbain intra-rocade de 23 ha d’un seul tenant, où des riverains viennent promener leur chien ou faire du jogging. Nous avons dû travailler le dialogue avec les habitants du voisinage pour expliquer nos pratiques et les avertir qu’il y a des moments où les traitements obligatoires pour protéger les vignes conduisent à réduire les accès. Comme à la plage, nous avons élaboré un système de drapeau vert, orange ou rouge en fonction de la possibilité de se balader ou non dans les vignes. Il faut expliquer ce que l’on fait, avec des pratiques respectueuses et des règles de cohabitation.

Le Salon de l’Agriculture de Nouvelle-Aquitaine est une opportunité pour ces échanges entre urbains et ruraux. Différentes actions des organisations professionnelles y contribuent comme Agriweb.tv qui traduisent cette volonté de communiquer positivement sur le monde agricole. C’est porteur d’optimisme d’expliquer ce qui est bien fait par ceux qui nous nourrissent.

Bordeaux Sciences Agro comptait 53% de filles dans les années 2000. En 2021 elles étaient 68%Bordeaux Sciences Agro

Bordeaux Sciences Agro comptait 53% de filles dans les années 2000. En 2021 elles étaient 68%

Des filles urbaines et sensibles à la géo-politique

@!: Qui sont les jeunes qui choisissent la formation d’ingénieur agronome ?

S. B.R. : Il y a encore une proportion significative de jeunes, environ 20%, qui viennent par la voie de l’apprentissage ou professionnelle, qui recrute principalement dans le milieu agricole. C’est un marqueur d’ancrage pour nous. Mais notre principale voie de recrutement aujourd’hui ce sont à 60% les classes préparatoires bio ou véto, qui viennent le plus souvent du milieu urbain. Il y a un besoin d’acculturation et de remettre en cause certaines idées reçues auquel répond le stage en exploitation effectué dès la première année.

L’autre marqueur fort c’est la féminisation. Bordeaux Sciences Agro comptait 53% de filles dans les années 2000. En 2021 elles étaient 68%. C’est lié au mode de recrutement par les classes préparatoires.

Il est important que le monde agricole soit accueillant vis-à-vis des publics féminins car on retrouve ensuite nos ingénieurs dans beaucoup de domaines professionnels : agricole, alimentation et agro-alimentaires bien sûr, mais aussi dans les secteurs des services, des énergies renouvelables, du conseil, des bureaux d’études et même de la banque assurance. 

@! : Dans le contexte de la guerre en Ukraine, quelle est sensibilisation à la géopolitique, qui impacte fortement les enjeux alimentaires ?

S. B.R. : Nous essayons d’ouvrir et d’éveiller l’esprit de nos élèves et de mixer les publics en tenant compte des sujets d’actualité comme le conflit qui oppose la Russie et l’Ukraine en organisant notamment des conférences sur les productions en tension et qui traitent du concept de souveraineté. Au-delà des aspects géopolitiques et de sécurité, ce sont des marchés qui sont déstabilisés, des crises énergétiques et agricoles qui se profilent. Nous avons établi avec nos enseignants-chercheurs des passerelles avec Sciences Po et l’université Bordeaux Montaigne sur toutes ces questions.

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