Loi sur le renseignement : les voix de la discorde


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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 04/05/2015 PAR Romain Béteille

Ce mardi 5 mai, le gouvernement Valls devrait franchir une nouvelle étape dans la surveillance avec la nouvelle loi sur le renseignement. En substance, cette loi adopte une série de mesures phares : surveillance sans passer par la case judiciaire, mails et appels interceptés, de mêmes que celles des caméras, des micros et des données personnelles, des balises qui permettent de géolocaliser les voitures en temps réel, des données conservées jusqu’à 5 ans dans des « boîtes noires » (programmes informatiques capables de profiler qui est censé débusquer des terroristes potentiels grâce notamment aux mots clef tapés, aux sites et aux mails)…

La sécurité nationale, c’était aussi le « prétexte » utilsé par Nicolas Sarkozy en 2006 (il était alors Ministre de l’Intérieur du gouvernement Villepin) pour faire voter la loi relative à la lutte contre le terrorisme. Dans l’article 6 de cette loi, il est bien précisé que les opérateurs télécoms, fournisseurs d’accès internet et tout établissement public proposant un accès à internet doivent garder les données de connexion pendant un an (déjà obligatoires depuis la loi sur la conservation des données en 2001). La loi a aussi amolli les conditions de contrôle de mise en place de caméras de vidéosurveillance et établi plusieurs autres mesures passées inaperçues, comme la lecture automatique des plaques minéralogiques. Fait qui n’étonnera donc personne : Nicolas Sarkozy a lui même annoncé le soutien de son parti à la nouvelle loi. Mais elle soulève aussi de vives protestations depuis plusieurs mois… 

L’opposition sur une même ligneD’abord celles des hommes politiques, dont certains sont prêts à dénoncer l’aspect intrusif de cette loi. Les députés du Front de Gauche et d’EELV devraient d’ailleurs voter contre (ou s’abstenir). Hervé Morin, ancien ministre de la défense, déplore « « la création de grands filets dérivants collectant de l’information infinie ». Des citoyens également : une pétition a été déposée fin avril sur le bureau du Premier Ministre, elle portait près de 120 000 signatures. L’Observatoire des libertés du numériques, qui compte des organisations telles que La Ligue des Droits de l’Homme, la Quadrature du Net ou encore Amnesty International ont organisés plusieurs rassemblements un peu partout en France. Elles appellent également les citoyens français à contacter leurs députés via ce lien pour tenter de faire pencher la balance lors du vote. A Paris, une manifestation était organisée dans la journée. Conscient des débats qui tournent autour de l’atteinte aux libertés, François Hollande a annoncé récemment qu’il saisirait le Conseil Constitutionnel, pour s’assurer que le texte soit « bien conforme » à la loi fondamentale, une saisine inédite de la part d’un Président, preuve que le débat reste vif. 

A Bordeaux, pas de manifestations de la part des organisations, mais certaines d’entre elles ont tout de même tenu à « mettre en garde les citoyens ». « Il est nécessaire de déjouer les attaques terroristes, mais cette loi porte clairement atteinte au droit à la sécurité et aux libertés individuelles. Il faut interroger le gouvernement sur ce qu’il doit savoir de nous. Qui aura le contrôle de tout ça ? Une commission composée de députés. Il est dangereux de laisser un avis à ces seuls parlementaires. Il faudrait une loi avec plus de discernement, avec une réelle coordination et des dispositions précises, sinon il y a un danger pour nos libertés », alerte Maître Estellia Araez, avocate au barreau de Bordeaux. Maître Pierre-Olivier Sur, bâtonnier du barreau de Paris, dénonce aussi une loi qui « mettra les français sous une surveillance généralisée ».

François Moraud, co-président d’Aquinum, a annoncé que l’organisme avait adhéré au mouvement « Ni pigeons ni espions » qui compte déjà 847 signataires et avait publié un avis officiel sur le site internet d’Aquinum. Certaines entreprises ne sont pas concernées par cette collecte des données, car elles possèdent des serveurs à l’étranger, elles s’en affranchissent donc », souligne-t-il. « Le fait que le projet ait été débattu par une dizaine de personnes pose aussi un problème démocratique. Nous ne sommes pas dans le fantasme, il y a des effets économiques dans les investissements de collecte de nos données ». Les multinationales qui possèderaient leurs serveurs à l’étranger, seraient donc exemptés du dispositif ? Quid de Facebook, qui générait en 2013 dix terraoctets de données par jour ? 

Une surveillance qui existe déjà ? Dans un article datant du 22 avril 2015 paru dans Charlie Hebdo, l’éditorialiste et journaliste Laurent Léger parle de cette surveillance généralisée  : « La DGSE a mis en place un dispositif d’écoute et de surveillance généralisée similaire à celui de la NSA. Comme l’a révélé Le Monde, dans les locaux des services français sont installés des ordinateurs surpuissants de surveillance et de captation des données de télécommunication à l’étranger » (afin de « récupérer les éléments téléphoniques et Internet, capter les émissions satellitaires et déchiffrer les messages cryptés »). « A vocation clandestine, ce programme est (…) connu dans le milieu du renseignement. Mais tout ça pose de nombreux problèmes », écrit également l’enquêteur. « Que peuvent faire les maigres effectifs des services français d’une telle quantité de détails, même analysés par mots clefs ? Rien ou presque ». 

Autrement dit, la surveillance et les écoutes téléphoniques existent déjà à plus ou moins grande échelle, ce n’est un secret pour personne. Encore moins pour l’Allemagne, qui était parfaitement au courant que la NSA s’était mis à espionner des sociétés européennes, dont Airbus. En 2007, la France disposait, au sein de l’Unité de coordination de lutte contre le terrorisme, d’un système pouvant traiter 20 000 requêtes par an. Dans le domaine bancaire, l’enregistrement des données peut déjà atteindre cinq ans (il varie entre six moix et cinq ans). Selon les informations du journaliste Antoine Peillon publiées dans La Croix en juin 2013, « Entre 2007 et 2010, la masse de ces réquisitions particulières a augmenté de 40% pour atteindre quelques 600.000 actes, dont des dizaines de milliers d’écoutes et de géolocalisation commandées aux opérateurs de télécommunication. (…) À cette occasion, le Groupe Orange révélait que 160 personnes sont entièrement mobilisées par l’interception des lignes téléphoniques et par le traitement policier d’environ 15.000 fadettes par mois« . Chez certains élus socialistes, on a également peur que ces dispositifs soient utilisés au sein de l’administration pénitentiaire. Reste la peur du « big brother » et la dimension du « big data » qui ne cesserait de s’étendre, et qui pourrait faire fuir les investisseurs… où les faire venir. Le fameux « Big Data » (ensemble de données numériques produites par les appareils électroniques, dont les écoutes font partie) pourrait peser jusqu’à 8% du PIB européen en 2020. 


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