Mamadou Berte : la vie en mode catastrophe


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Temps de lecture 8 min

Publication PUBLIÉ LE 15/09/2014 PAR Jean-François Meekel

Il était poursuivi pour avoir pris en otage en juillet 2011 les passagers d’une voiture de première classe d’un train express régional en gare de Bordeaux. Ce preneur d’otages d’un nouveau genre réclamait la venue du procureur qui deux ans auparavant l’avait, injustement disait-il, condamné à un an de prison pour outrages. L’intervention du GIPN permit de résoudre l’affaire sans drame au terme de plus de deux heures de négociation alors qu’il ne tenait plus qu’une seule passagère sous la menace de ses armes, deux sabres japonais. Mamadou Berte est interné dans le cadre de l’UMD de Cadillac, l’unité pour malades dangereux où il purgera sa peine. Il va continuer à recevoir des soins qui visiblement lui sont bénéfiques, à sa sortie, dans deux ans environ , il sera pris en charge dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire très contraignant dont on peut espérer qu’il lui permettra de réintégrer la communauté des hommes dont « son histoire catastrophique » selon les termes de son avocate l’a tenu éloigné depuis sa naissance à Bamako. Depuis lors, il a vécu dans la violence de la rue, soumis à tous les abus, trafic et toxicomanie. Voici l’histoire d’un homme sans, privé de tout depuis toujours dont « on ne peut même pas imaginer l’horreur de ce qu’il a vécu » toujours selon son avocate Maître Maud Sécheresse, un homme auquel enfin la justice a reconnu sa part d’homme.

Aujourd’hui, c’est un homme massif, avec un bel embonpoint, ses cheveux, un nid dense de dreadlocks, lui retombe bas sur le front, moustache et barbiche complètent le camouflage, sur son nez des lunettes de myope. On imagine qu’il vit dans une forme de brume, Mamadou Berte. Et de fait, il n’est sûr de rien, Mamadou, même pas de son nom, qui sonne très peu malien, le pays où il est né. Sa famille ? Il a été abandonné très tôt, il ne sait rien d’eux, pas plus que de la date de sa naissance, l’univers de sa prime enfance puis de toute sa courte vie, ce fut les rues de Bamako, celles d’Abidjan, les squats de Paris, les trottoirs en France, en Allemagne, en Hollande, en Suisse. « J’ai appris à survivre avec l’aide de Dieu » dit-il dans un document d’une quarantaine de pages écrit avec l’assistance d’un autre patient de l’UMD et mis en forme par un soignant, un texte intitulé « Sauf Moi. (1)» Dans ce récit, il se montre très discret, certainement très pudique à propos de ce que fut sa vie d’abord à Bamako puis à Abidjan, il parle de vols et de deals, pas de l’alcool qu’il consomme de façon régulière et excessive depuis l’âge de dix ans, du cannabis qui aide à oublier, il ne dit rien non plus de la violence physique et certainement sexuelle qu’il a subie, rien de la faim et de la soif dont il a fréquemment souffert. « On ne peut imaginer l’horreur qu’il a vécue » : pas d’école de la rue pour apprendre à lire et à écrire, ses seules valeurs, ses seuls repères sont ceux que forgent les rapports de force, à prendre ici au sens très concrets du terme, les plus grands, les plus costauds imposant la loi.

De Bamako à La Rochelle via AbidjanMamadou, quand il a 6/7 ans, change de trottoirs et part pour Abidjan en Côte d’Ivoire voisine, fenêtre sur l’Atlantique, et voie possible vers la « terre promise » qu’il empruntera mais après encore des années de ghettos d’Abidjan à Omassi et Adjamé. Changement de pays mais même misère, même solitude, même violence. San Pedro, deuxième port ivoirien, Mamadou a alors 15 ans, il se fait cireur de chaussures et échafaude son plan, on ne sait comment mais un jour il monte à bord d’un bateau espagnol, le « Roquia del mas» avec deux paquets de biscuits et deux bouteilles d’eau pour 11 jours de mer. Il débarque à La Rochelle en septembre 2001, le début d’une nouvelle vie, espère-t-il, une vie tout court. Mais ça commence en fouillant les poubelles pour trouver quelques reliefs alimentaires et en se cachant de la police. Quant au « brave homme » qui va lui proposer douche et hébergement, c’est en fait un prédateur sexuel. Cela, Mamadou le révèlera difficilement et en sanglots à un expert psychologue au cours de l’enquête. Deux mois plus tard, le jeune garçon, sans papier file sur Paris où il vit dans la rue, puis en Allemagne où commence la série de ses nombreuses incarcérations, le plus souvent liées à sa situation de sans-papiers.

Né en 86 ou en 82 ?Puis l’errance se poursuit, Paris à nouveau puis la Suisse avec d’autres africains puis retour à Paris où un examen osseux consécutif à une nouvelle interpellation, il voyageait sans billet, toujours « sans », le révèle mineur. Il est donc placé dans des foyers de l’ASE, l’aide sociale à l’enfance. Il « use » alors plusieurs familles d’accueil, ne trouvant jamais sa place, avec toujours ce sentiment : sauf moi. Un nouvel examen osseux le fait naître cette fois en 82, la première fois c’était 86 ( ?). In petto, l’aide sociale à l’enfance lui donne 100 euros et renvoie à la rue sans plus de ménagement ce majeur compliqué et toujours sans papier. Débutent alors des années de punchingball entre les hébergements en foyer 115, ceux du Samu social, les centres de rétention pour sans papiers, les hôpitaux où il arrive à se faire hospitaliser feignant la maladie, « une manière de survivre », un toit et à manger pour quelques jours. Et puis les squats, la rue, sans oublier l’alcool, les joints et l’impossibilité de travailler quand on est sans papiers. Désespéré, Mamadou a même tenté de se faire expulser d’abord vers la Côte d’Ivoire, non, vous n’êtes pas ivoirien, lui rétorque-t-on. Le Mali alors ? Non, vous n’êtes pas malien non plus ! Vous avez dit Kafka?

Un personnage attachant avec la maturité d’un gosse de 14 ansLe sentiment d’injustice s’installe durablement, un délire de préjudice diront les psys au procès. Une forte impulsivité et une intolérance à la frustration le rendent violent, véhément, en paroles, en gestes. Résultats : 19 procédures judiciaires entre 2004 et 2011 et 11 condamnations le plus souvent pour outrages, injures, vols, violences verbales ou physiques, sous l’empire de l’alcool. Prisons, hôpital psychiatrique, le plus souvent, il en ressort comme il est rentré, sans rien, rejeté dans la rue, dans la brume. A Muret, pourtant, un assistant judicaire touché par ce détenu «  attachant qui a la maturité d’un gosse de 14 ans » va l’aider à obtenir un titre de séjour, un hébergement dans une communauté religieuse, une formation. Un we par mois, il est accueilli dans la famille de l’assistant juridique, une des filles lui apprend à lire, il sympathise avec un des garçons de son âge. Une éclaircie dans sa nuit. Hélas, cela n’a pas duré, un vol avec violence l’envoie à nouveau en prison pour trois ans et demi: Montauban, Toulouse, Tarbes, Perpignan, petit tour de France des taules où il ne se sent pas si mal, il est à l’abri, logé, nourri, pas pire finalement que la rue, la zone, la solitude, l’alcool.

Sisyphe écrasé sous son rocherMais cette fois en sortant il décide de se prendre en main, il obtient des papiers délivrés par la préfecture de Montauban. Hébergé en foyer puis dans son propre appartement, il travaille en intérim, déménagements, démolition, déchetterie. Il rencontre pour la première fois une femme avec laquelle s’installe une relation.  « Ouf, cette fois c’est à mon tour d’être posé » se dit l’auteur de « Sauf Moi ». Enfin lui, aussi. Mais c’était sans compter avec son addiction à l’alcool à l’origine d’une nouvelle interpellation en gare de Bordeaux. Des noms d’oiseaux fusent, Mamadou se retrouve en cellule de dégrisement et à sa sortie des brumes, il est condamné à un an de prison en comparution immédiate pour outrages à agents. Désespoir, son fragile château de cartes s’écroule, d’autant qu’il prend 6 mois de plus en appel. Et encore un an quand il tente de s’emparer de l’arme de son escorte pour dit-il, se suicider. 30 mois dont il fera 26 avec une seule idée à sa sortie, se venger et réclamer des excuses à ce procureur de Bordeaux qui l’a, pense-t-il si lourdement et injustement condamné. Car pour ce Sisyphe enchaîné, il ne semble plus possible de remonter la pente, il est à nouveau au fond du trou, privé du peu qu’il avait réussi à regagner sur l’adversité, et en particulier cette compagne dont on a appris au procès qu’elle portait un enfant de lui dont elle s’est faîte avorter quand il a été incarcéré.

Donnez-lui un avenirAlors il a échafaudé ce projet fou : convoquer sur le lieu du drame initial, la gare de Bordeaux celui qu’il tient pour responsable de ses malheurs, le fameux procureur, afin d’en obtenir des excuses et mourir sans doute sous les balles des policiers. En guise d’impedimenta, ces méchants sabres japonais trouvés dans un jardin public destinés à cette prise d’otages en gare de Bordeaux. Par chance cependant, l’otage principal, cadre de la SNCF est l’épouse d’un préfet qu’elle réussit à informer. Sans doute la raison de la présence rapide sur les lieux des hommes du GIPN, parfaitement formés pour affronter ce type de situation ce qui permit de résoudre le drame sans aucune effusion de sang. Quant à l’otage, tenu sous la menace d’un sabre deux heures durant, elle fit preuve de courage et de sang-froid. Elle a vite compris le désarroi et le sentiment, délirant mais bien réel, d’injustice de cet homme qui avait surtout besoin qu’on l’écoute et qu’on lui parle. Elle n’a pas porté plainte contre lui, sa compassion et son humanité ont finalement, en dépit de son absence, influencées très sensiblement la petite musique du procès. Enfin, une cour assez unanime a déclaré que sa place était plus dans l’univers du soin que dans celui de la peine. Pour la première fois de sa longue histoire judiciaire, on s’est penché attentivement sur sa vie, non pour le déclarer irresponsable, ses troubles ont altéré mais pas aboli son discernement disent les experts, non pour excuser mais pour comprendre. « Il a déchiré des brumes » conclura son avocate s’adressant aux jurés « donnez-lui un avenir ».

Une vieille dame, otage dans la voiture de première classe a témoigné le premier jour du procès. Elle n’était pas non plus partie civile, seule parmi les témoins elle est restée tout au long des deux jours d’audience. Mamadou Berte a transmis à celle qu’il nommait la mamie son opuscule où il demande la compréhension et le pardon des otages. Elle l’a lu tout au long des suspensions d’audience dans la salle des pas perdus. Avant l’énoncé du verdict, elle a attiré l’attention de Mamadou Berte en montrant le livre et en lui souriant. Alors, il a levé le pouce ainsi qu’à Rome on laissait la vie sauve aux gladiateurs puis un large sourire a enfin éclairé son visage.

1- Dans les dernières lignes de sa confession Mamadou Berte dit ceci : «  une chose est claire, la prochaine fois que j’aurais envie de mourir, je ne mettrais pas la vie de quelqu’un d’autre en danger car les autres ont le droit au bonheur sauf moi ».

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