Passage de témoins pour la Banque Alimentaire girondine


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Temps de lecture 7 min

Publication PUBLIÉ LE 12/11/2019 PAR Romain Béteille

À 69 ans, Gilles Dupuy a un profil assez différent des deux hommes qui l’ont précédé dans la fonction. Face à deux parcours plutôt issu d’organismes agricoles (Chambre Régionale d’Agriculture et SAFER pour Pierre Pouget, qui occupe désormais le siège de responsable régional à la Banque Alimentaire), il oppose sa carrière d’une vingtaine d’années dans une PME industrielle, Bucher Vaslin, dont il a occupé jusqu’à sa retraite le poste de Directeur Général délégué. Issu d’une formation d’ingénieur en agronomie, Gilles Dupuy est engagé depuis l’âge de 18 ans dans le monde associatif à travers l’association Saint-Vincent de Paul. S’il occupe aujourd’hui le fauteuil d’une association qui touche, au travers d’un réseau de 135 associations ou organismes relais, 18 à 20 000 personnes par semaine, ce n’est, à l’entendre, pas pour révolutionner le coeur de la machine, mais « pour l’optimiser. Par exemple, dans le secteur de l’agroalimentaire, nous avons des bénévoles qui travaillent dans ce monde là et vont au contact de ces entreprises. Il faudrait trouver une manière de valoriser et d’optimiser ces contacts ». 

Priorité sur les jeunes

L’une de ses priorités pour le mandat qui lui a été confié, ce sont les étudiants et les jeunes, de plus en plus confrontés à la précarité. Le récent exemple lyonnais pourrait servir de preuve malheureuse et le dernier recensement de l’UNEF sur le coût de la vie étudiante la conforter. Si certains font déjà appel à des dispositifs de distribution alimentaire solidaire (on peut citer Episs Campus à Poitiers, mais on retrouve aussi ce modèle sur le campus de Talence et ailleurs), ce public est, de l’aveu de Gilles Dupuy, assez difficilement captable. Pourtant, il représente une part croissante de la précarité. L’Inspection générale des affaires sociales évaluait en 2015 à 19% la part des étudiants vivant sous le seuil de pauvreté en France. « Les étudiants sont souvent un peu gênés de faire appel à des associations d’aide alimentaire, et d’autres sont parfois dans une approche individualiste assez forte. Nous souhaitons approcher les organisations comme le Crous et d’autres pour trouver des façons un peu innovantes d’aller vers eux », précise Gilles Dupuy, ajoutant rêver d’un « guichet unique mis en place par les institutions, parce que les jeunes ont aujourd’hui beaucoup de mal à aller vers les différents organismes pour exprimer leurs demandes ».

Ils ne sont pas les seuls concernés. Dans un rapport annuel récemment paru, le Secours Catholique a fourni quelques statistiques pour la région Nouvelle-Aquitaine. On y apprend notamment que sur les 52 800 personnes accueillies par l’association en 2018, 70% sont âgées de moins de 50 ans (dont 8% des jeunes de moins de 25 ans), un quart sont des hommes seuls et un quart des « mères isolées ». Un ménage sur deux accueilli est un ménage avec enfants et un quart des aidés viennent d’une ville de moins de 5000 habitants. Selon l’INSEE, en 2015, 787 000 personnes vivaient en 2015 sous le seuil de pauvreté en Nouvelle-Aquitaine (environ 200 000 en Gironde), soit 13,7% de la population régionale (1,6 point de moins qu’en France métropolitaine). Du côté de la Banque Alimentaire, une étude nationale parue en 2018 situe à 71% le nombre de foyers touchés vivant avec moins de 1000 euros par mois. 69% des bénéficiaires sont des femmes, 61% ont des enfants, 81% un logement stable, 15% sont retraités et 83% inactifs (30% au chômage).

Soutien renforcé 

Pour toucher tous ces publics, la Banque Alimentaire repose sur plusieurs piliers. Le premier, c’est donc cette collecte hivernale. En 2018, malgré les conflits sociaux débutés avant la collecte, la Banque Alimentaire de Bordeaux et de la Gironde a récolté 409 tonnes de denrées alimentaires contre 365 en 2017. Un chiffre en augmentation après une baisse importante en 2016. Mais cette collecte, si son apport n’est pas à négliger, ne représente qu’une partie des dons récoltés (4829 tonnes en 2018). Les centres commerciaux et acteurs de l’agroalimentaire contribuent pour une plus grande part encore. « Dans une région comme la Nouvelle-Aquitaine, c’est plus de mille tonnes qui sont remises aux Banques Alimentaires, un peu plus de 300 tonnes pour Bordeaux et la Gironde », souligne ainsi Pierre Pouget. Si la loi Garot contre le gaspillage alimentaire de 2016 a permis d’améliorer sensiblement le volume de l’apport d’invendus aux associations « dans les deux ans qui ont suivi, on observe tout de même depuis quelques mois un tassement de la collecte quotidienne auprès de la grande distribution, qui connaît par ailleurs des difficultés pour s’adapter aux nouveaux modes de consommation et accorde bien plus de rigueur à la fin de vie de ses produits », affirme Pierre Pouget. La preuve, c’est ce chiffre : de 2500 tonnes récoltés annuellement, on est passé à 2100 tonnes en 2018 pour la BABG, « et 2019 devrait être encore en dessous de ce chiffre. La question n’est pas de désigner un bouc émissaire mais de faire en sorte que le don fasse partie des politiques RSE du monde de l’agroalimentaire et soit un modèle plus instinctif qu’il ne l’est aujourd’hui ».

C’est tout le sens d’un accord passé en octobre entre le réseau national des Banques Alimentaires et l’ANIA (Association Nationale des Industries Alimentaires), qui, avec le programme « Manger à sa faim », se sont engagés à distribuer 500 millions de repas par an en 2025. En termes de nouveaux dispositifs facilitateurs, on peut citer la plateforme ClickDon des Banques Alimentaires, relation directe entre les industriels et la chaîne logistique des antennes locales des banques. « On a commencé à discuter avec l’ARIA (Association Régionale des Industries Alimentaires) pour finaliser une future convention régionale cadre qui donnera des points de repère et des outils pour faciliter les dons alimentaires des industriels » et ainsi éviter plus efficacement encore le gaspillage alimentaire (qui représentait près de dix millions de tonnes en France en 2016 d’après l’ADEME). Selon le nouveau responsable régional, elle devrait voir le jour au printemps prochain. « ClickDon permet aux industriels via sa plateforme de gérer de manière ergonomique son don alimentaire, avec en contrepartie l’organisation du transport et un reçu fiscal qui permet de valoriser son don et d’organiser la réception de volumes importants qu’une seule Banque Alimentaire de province ne peut pas absorber toute seule ».

Craintes européennes

Le deuxième pilier de la Banque Alimentaire girondine, ce sont les subventions européennes, qui passent par le FEAD (Fonds Européen d’Aide aux plus Démunis). En mai dernier (février pour le Secours Populaire), déjà, les associations caritatives s’inquiétaient d’une possible baisse de moitié de ce fond dès 2021. « Pour un département comme la Gironde, l’aide européenne pour la seule Banque alimentaire est de 800 000 euros par an en bons à tirer avec lesquels on passe commande sur une trentaine de produits. Ça représente environ 1000 tonnes de produits, soit le quart de ce qui est distribué, c’est dire comme l’appui européen est essentiel. On n’a pas manqué avant les élections de se manifester auprès des différents candidats, on va prendre à nouveau notre bâton de pèlerin pour aller rencontrer les élus prochainement puisque le sujet va revenir sur la table des négociations budgétaires européennes. Les premiers indicateurs font que nous ne sommes pas très optimistes, mais il ne faut pas qu’on badine avec la solidarité » met en garde Pierre Pouget. Enfin, l’association souhaite aller plus loin sur la pédagogie avec les communes, quitte à moins penser dans une logique ponctuelle au travers d’opérations comme la vente aux enchères de vins. « Au lieu d’avoir des opérations ponctuelles, les collectivités souhaitent que la Banque Alimentaire s’inscrivent plus dans des projets plus longs. On a eu des demandes, notamment pour des assurer des rallonges budgétaires, de présentation d’un plan d’investissement sur plusieurs années. Il faut que les municipalités aient l’impression qu’on a une politique à plus long terme », confirme Gilles Dupuy.

L’un des axes envisagés, c’est une forme de « lobbying » pédagogique, qui cherche à sensibiliser les scolaires aux valeurs de l’association (lutte contre le gaspillage, redistribution aux plus démunis, inclusion sociale). « Notre devoir, c’est de partager ces valeurs-là », insiste Pierre Pouget. « Aujourd’hui, quelques communes de Gironde développent avec des bénévoles la sensibilisation auprès des scolaires. Des lycéens viennent participer à nos opérations de tri, je suis étonné de voir la manière dont certains utilisent ce temps pour réaliser un vrai travail pédagogique. Avec les communes qui ont en responsabilité le secteur primaire, on peut aussi commencer ces transmissions de valeurs assez tôt. C’est le cas avec Bordeaux ou Mérignac, des réflexions sont en cours avec Bègles. Plusieurs communes souhaitent s’engager dans ce travail pédagogique en proposant l’opération &Pat’&Pot » (« épate tes potes »), qui consiste à servir un repas à base de pâtes et de compote aux écoliers et de reverser l’économie réalisée sur le prix du repas à la Banque Alimentaire. En 2018, l’opération a permis de récolter 12 600 euros pour les écoles de Bordeaux. « Ce n’est pas juste la valeur financière, on veut se saisir de cette démarche pour sensibiliser les jeunes générations aux valeurs que l’on porte ». Une opération « communes solidaires de Gironde » pourrait ainsi être créé au printemps et ouvrir la porte aux communes qui souhaitent participer à l’opération. Une autre manière de toucher un public plus large, donc, et une forme de cap pour le nouveau Président de la Banque Alimentaire qui, sans changer toute la recette, compte tout de même y apporter quelques nouveaux ingrédients. En tout cas, le gilet orange lui va plutôt bien.

L’info en plus : la grande collecte annuelle de la Banque Alimentaire de Bordeaux et de la Gironde se tiendra les 29 et 30 novembre prochain dans 300 magasins et mobiliseras 3000 bénévoles. Cette année, un partenariat appuyé a été convenu avec le Crédit Mutuel : 85 caisses de Gironde, Charente et Dordogne participent à la collecte à partir du 15 novembre dont 55 en Gironde. À l’exception des pâtes et du sucre, non demandés cette année, les produits prioritaires pour les dons restent les féculents (semoule, riz) et les conserves (poisson, viande, légumes). Chaque année, l’opération permet de récolter 23 millions de repas.

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