Précarité en Gironde : la fin de la trève


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Temps de lecture 7 min

Publication PUBLIÉ LE 29/03/2018 PAR Romain Béteille

La survie du lendemain

« Si vous recevez cette lettre, c’est que vous avez la chance d’avoir un toit. Ce n’est pas le cas de milliers de personnes qui sont aujourd’hui à la rue ». Cette phrase d’accroche, c’est, avec le hashtag #PasDeSantéSansToit, la dernière trouvaille de Darwin et Médecins du Monde au niveau national pour tenter d’alerter le gouvernement face aux problèmes de logements et d’accès au soins pour les plus démunis. Il suffit en effet de jeter un coup d’oeil aux chiffres régulièrement apportés par la Fondation Abbé Pierre pour voir que le problème, qui plus est à la veille de la fin du plan grand froid le 31 mars, est plus que récurrent : en faisant les comptes, l’organisme a dénombré, en 2015, 14 363 demandes d’expulsion, soit un chiffre en hausse de près de 25%. En 2018, on en comptait même 15 222, soit 46% de plus qu’en 2006. En additionnant le nombre de personnes « sans domicile », dont la résidence principale est une chambre d’hôtel, une « , habitation de fortune », en résidence sociale « ex-nihilo » ou en hébergement « contraint » chez des tiers, on arrive au chiffre de 896 000 personnes, contre 685 142 dans le même rapport en 2013. La synthèse annuelle du rapport sur le mal-logement dénonce une aggravation de la situation : « Le nombre de personnes sans domicile a augmenté de 50 % entre 2001 et 2012. Celui des personnes en hébergement contraint chez des tiers de 19 % entre 2002 et 2013 », écrivait la Fondation le 30 janvier 2018. 

Ce matin, une petite trentaine de personnes appartenant à des associations en lien avec Médecins du Monde, qui a coordonné cet appel, ont donc organisé un sitting place Pey-Berland à Bordeaux. C’est certes très peu, mais c’était surtout l’occasion pour eux de donner quelques indications sur la situation au niveau local. Selon les chiffres de l’antenne départementale de l’ONG, « plus de 400 personnes seront sans solution d’hébergement le 1er avril. Ce chiffre comprend les refus quotidiens d’hébergement du 115 et les 235 personnes hébergées au titre du plan hivernal. Il n’inclut pas les gens qui seront victimes d’expulsions locatives ni ceux qui vivent en habitat précaire et insalubre sur la métropole bordelaise ». À titre de rappel, précisons que le nombre de places en hébergement d’urgence débloqués par la préfecture en 2018 étaient au nombre de 1576, dont 365 « au titre du dispositif hivernal ». Pour la coordinatrice locale de Médecins du Monde, Aude Saldana Cazenave, « Il y a un vrai déni de réalité sur le nombre de personnes à la rue ou qui sont dans des logements très précaires. Le 115 a des places en augmentation, les hôtels également, le dispositif « plan hivernal » donne aussi des places supplémentaires. Mais tout ça n’est ni approprié aux personnes, ni à la stabilisation ni à l’accompagnement social. Or c’est un prérequis : on ne peut pas soigner des personnes qui sont à la rue dans des conditions d’instabilité telle que la survie du lendemain est la seule piste envisagée ». 

Une situation contrastée

D’autant que pour la responsable de l’association, les SDF sont loin d’être les seuls publics concernés. « Pour nous, les personnes qui vivent dans des squats ou des bidonvilles sont aussi à la rue. À partir du premier avril, le plan d’urgence de 235 places va s’arrêter. Imaginez tous les travailleurs sociaux des associations qui ont à remettre des gens dehors… c’est ce qui va se passer, il n’y a pas 235 places d’hôtel qui vont se libérer le 2 avril pour accueillir ces gens et les hôteliers mettent régulièrement des gens dehors parce qu’ils ne sont pas des structures d’accompagnement social. Ce sont souvent des personnes qui ont migré récemment, avec des parcours migratoires très difficiles et très longs. Elles sont plutôt assez choquées de l’accueil qui leur est réservé, ils ne s’attendaient pas à cette « violence administrative ». Ils sont capables de verbaliser leurs besoins, mais on se retrouve très souvent sans solution pour eux. Il y a aussi de plus en plus de gens qui vivent dans des squats. Historiquement, on accompagnait notamment des roms. Depuis deux ans, on s’est rendus compte qu’il y avait vraiment toutes les nationalités et toutes les solutions administratives. Ce n’est pas forcément des personnes sans papiers qui vont dans des squats à l’heure actuelle, c’est aussi des demandeurs d’asile qui ne sont pas accompagnés ». Ces associations dénoncent leur placement forcé en première ligne et leur incapacité à faire face depuis longtemps, de même que des pouvoirs publics « qui se renvoient la balle. On se retrouve devant une préfecture qui nous dit que si on ne fait pas de contentieux, rien ne les force à héberger. Or on n’a pas forcément la capacité de le faire. La mairie de Bordeaux dit qu’elle n’est pas responsable et que les problèmes de la migration sont liés à l’État. Même pour les mineurs isolés étrangers dont le département prend la charge : tant qu’ils ne sont pas certifiés comme mineurs… La réponse qu’on a de la préfecture quand il y a un mineur à la rue, c’est de ne pas l’amener à l’Hôtel de Police parce que s’ils le remettent dehors, ce sera de leur responsabilité s’il lui arrive quelque chose. Qui est responsable au final ? Ça se reporte sur les associations… ». 

En Gironde, les données fournies chaque automne par le Secours Populaire viennent appuyer ce discours. Selon le dernier bilan de novembre 2017, « près de 280 personnes » appelant le 115 se retrouvent sans solution de logement tous les soirs sur l’agglomération bordelaise. « Les refus constatés par le 115, ce sont les personnes qui continuent à appeler, beaucoup de personnes qui ont, entre temps, trouvé un squat ou un bidonville arrêtent de le faire. Ceux qui ont un toit n’appellent plus, tous ceux qui sont dans des réseaux d’hébergement solidaire non plus, précise Aude. Face au problème, des structures nouvelles voient le jour sur la métropole, avec une bénédiction souvent très timide des autorités. Quand ça se passe bien, ça donne la situation que vivent une quinzaine de mineurs non accompagnés dans un château de Mérignac. Dans les autres cas, le sursis est de mise, comme pour La Ruche auquel un délai a été accordé par la Région jusqu’en juillet. Le centre social autogéré « Le Squid » qui comporte une vingtaine d’habitants occupant un squat près de la Gare Saint-Jean a dû aller se défendre devant le tribunal administratif, Bordeaux Métropole ayant mené une action pour les en déloger en raison de l’illégalité de leur situation, alors même que la zone ou se trouve le bâtiment figure dans le projet Euratlantique et que sa démolition est toujours prévue pour 2020. Ces deux derniers exemples illustrent bien la manière dont les associations essaient de gagner du temps face à des municipalités ayant visiblement épuisé leur capital de patience, tandis que d’autres essaient de jouer la carte de l’échange de bons procédés. 

Une loi attendue au tournant

Mais ce dernier ne fait pas tout. Alors, de leur côté, les associations comme Médecins du Monde s’organisent pour tenter d’alerter différemment les pouvoirs publics. On l’a vu à travers cette lettre au niveau national. Plus localement, les quelques 600 personnes présentes au Rocher de Palmer le week-end dernier pour la déclinaison départementale des États Généraux des Migrations ont permis de suivre le mouvement national lancé par Cedric Herrou, dans un contexte d’échanges parfois très vifs face à l’échéance de la nouvelle « loi asile-immigration », discutée en commission à l’Assemblée Nationale à partir du 24 avril. Alors les actions se multiplient : dans le cadre de ces États Généraux, plusieurs associations ont imaginé un « livre noir de l’accueil des migrants en gironde » qui tente de combler les trous et dénonce un manque de solutions dans plusieurs problématiques, dont le logement qui figure évidemment en bonne place. Au niveau des actions très concrètes, la coordinatrice de Médecins du Monde révèle qu’à compter du 9 avril prochain auront lieu des rencontres, dans une série de réunions, entre les associations de solidarité et l’ensemble des députés des douze circonscriptions de Gironde, dans le but de proposer des amendements au futur projet de loi. Trois d’entre eux (pour l’instant) ont accepté l’invitation, et une restitution de ces échanges devrait avoir lieu à Bordeaux le 21 avril prochain au Marché des Douves.

Parmi les points de friction, on retrouve des inquiétudes concernant la situation des étrangers malades. « Toute personne qui va vouloir faire sa demande d’asile ne pourra plus faire une demande de titre de séjour pour soin. Ce sont des gens qui montent un dossier pour prouver que s’ils retournent dans leur pays, ils n’auront pas un accès aux soins ou aux traitements. C’est toute une démarche avec des avis médicaux, des avis sociaux, c’est un titre renouvelable en fonction de la maladie. Or, si ce projet de loi est voté en l’état, il faudra qu’ils choisissent : ils ne pourront plus demander ce titre de séjour pour soins six mois après leur arrivée en France mais vont être obligés de le faire avec leur demande d’asile. Tout cela dessine des restrictions à l’accès aux soins garantis, on a peur que beaucoup de personnes malades soient renvoyées dans leur pays d’origine », précise Aude Saldana Cazenave en faisant référence à l’article 20 du projet de loi, alors même que le nombre de titre de séjour pour soins délivrés a déjà chuté de 37% entre 2016 et 2017. Enfin, entre alerte politique et culture revendicatrice, l’équilibre est dur à trouver mais visiblement, l’initiative citoyenne et associative « Bienvenue », qui se tient partout en Gironde jusqu’au 28 avril, propose d’aborder la question des réfugiés de manière un peu plus ludique, d’autant qu’elle est réalisée au profit de SOS Méditérrannée.

Quid des personnes qui vont disparaître des gymnases ou des hôtels prévus dans le cadre de la trève hivernale, qu’ils soient, réfugiés statutaires, mineurs non-accompagnés, déboutés du droit d’asile ou autre ? Même si des efforts notables voient régulièrement le jour, le chemin semble encore long : selon les dernières données de la FNARS (Fédération des Acteurs de la solidarité), sur les 21 506 personnes ayant contacté le 115 en juillet 2017 (+2% par rapport à 2016), période particulièrement sensible en raison de la fermeture de nombreuses structures d’hébergement, 11 908 « n’ont jamais été hébergées » soit 55% du total. En Gironde comme dans sept autres départements sur les 48 étudiés, le taux d’attribution y était même de seulement 20%. Et ça, Médecins du Monde en est bien conscient : « à la rue, toutes les saisons tuent » est d’ailleurs un des slogans de l’ONG. La « trève estivale », pourtant, n’est pas prévue pour tout de suite.

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