Précarité étudiante: entre chômage partiel et difficultés alimentaires, le confinement s’avère difficile


Marcu-Antone Orsoni
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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 08/04/2020 PAR Clément Bordenave

« On s’est retrouvé avec des étudiants tremblants de faim et qui n’avaient pas mangé depuis plusieurs jours » alerte Jérôme du Collectif Solidarité-Continuité Alimentaire Bordeaux. Lui et les autres bénévoles du collectif se sont organisés pour faire face à une situation d’urgence absolue, « de base même dans une situation normale on a une population étudiante qui est très précaire et je pense que les chiffres parlent en ce sens, il y a 20 % des étudiants qui sont sous le seuil de pauvreté et 40 % qui travaillent pour subvenir à leurs besoins. Parmi ces 40% d’étudiants salariés, une grande partie travaille dans la restauration et ils sont aujourd’hui privés de revenus », déplore Jérôme.  

Les membres du collectif ont donc souhaité anticiper le besoin des étudiants quand ils ont compris les difficultés qui allaient leur tomber dessus, « dès le moment où l’université a arrêté les cours et où l’on a senti venir le confinement, on s’est dit qu’il y aurait sans doute des problèmes pour ceux qui resteraient dans les résidences universitaires », explique Jérôme. « Quand le confinement a débuté les enseignements étaient déjà arrêtés depuis deux semaines et donc le week-end avant on avait rapidement imprimé des affiches pour les distribuer dans les résidences universitaires avec en plus la mise en ligne d’un questionnaire et d’une adresse mail afin de réunir les coordonnées des étudiants et leurs besoins ».  Le collectif garantie à chaque étudiant au moins 3 kilos de féculents, des conserves, et aussi des produits d’hygiène de première nécessité notamment des protections hygiéniques pour les étudiantes. 

Plus de 700 demandes

Très rapidement le collectif s’est retrouvé submergé, « nous sommes aujourd’hui à plus de 700 demandes. Au début nous n’avions pas vraiment idée du nombre de demande que l’on aurait donc on donnait de notre poche pour acheter les produits. Mais avec cette accumulation de demandes, nous avons monté une cagnotte Leetchi (que vous pouvez retrouver ici ) qui contient à l’heure actuelle plus de 35 000 euros. Avec la quinzaine de membres qui composent le collectif, nous avons  avancé pour le moment 20 000 euros le temps que la somme soit débloquée, mais maintenant la situation se complique, car nous ne pouvons plus avancer autant de frais », Jérôme et les autres membres espèrent donc que Leetchi prenne ses dispositions pour que la somme puisse venir soutenir le collectif rapidement.

Mais malgré toute la bonne volonté des associations, les étudiants vivent une situation critique et beaucoup s’inquiètent de la durée du confinement qui pourrait les amener vers une situation financière inextricable. Pour pallier les pertes de revenus de ces étudiants, certaines universités et écoles de commerces prennent directement des mesures (lire notre article). Mais certains étudiants continuent tout de même d’espérer un retour rapide à la normale.

« Si notre chômage partiel devait se prolonger, je ne pourrais plus payer »

Basile fait parti de ces étudiants mis au chômage partiel qui affirme avoir beaucoup de difficultés depuis le début du confinement, « je vis en appartement à Bordeaux avec ma copine et l’on partage donc un loyer de 800 euros, sachant que je ne touche pas de bourse puisque mon école est privée, je travaille donc 20h par semaine en restauration rapide et je suis au chômage partiel depuis la fermeture des lieux de restauration. En plus des dépenses courantes, je dois aussi économiser pour payer la troisième année de mon école ». La situation est d’autant plus compliquée que Basile se retrouve dans l’incertitude quant à la somme qui lui sera versée, « a priori on devait être payé 100% de notre salaire malgré notre mise au chômage, finalement on a appris hier que c’était seulement 70% qui seront garantis et que pour le reste c’était encore l’incertitude. Je vais donc attendre de voir ce que je touche, mais ça va être très dur de payer mon loyer. D’autant plus que l’on doit faire des courses beaucoup plus souvent que lorsque je travaillais puisque le midi en restauration j’avais un panier-repas ».

L’alimentaire c’est le deuxième poste de dépense de Basile qui devient source d’inquiétude, « on a pensé à un moment faire appel à des associations pour l’aide alimentaire, mais après y avoir réfléchis on s’est dit que l’on n’était peut-être pas assez dans le besoin pour en bénéficier, et que certains auraient surement plus besoin de cette aide que nous vu que je ne ressens pas pour le moment d’urgence vitale. En revanche si notre chômage partiel devait se prolonger je ne pourrais plus payer. Pour le moment comme cela ne fait que 15 jours et que j’ai pu travailler la moitié du mois de mars cela reste encore tenable, mais si la situation s’éternise jusqu’à mi-mai ça va être impossible de payer mon loyer et ma nourriture », s’alarme Basile.

10 millions d’euros pour le Crous

Le gouvernement vient tout de même d’annoncer qu’ils allaient libérer 10 millions d’euros pour le Crous. Mais Jérôme tient à nuancer cette somme, « sachant qu’il y a en France 1,7 million d’étudiants, en considérants qu’on divise la somme par le nombre d’étudiants cela fait un peu moins de 6 euros par étudiants ce qui semble assez léger ». Nationalement, le Crous a annoncé qu’il ne ferait pas payer les loyers pour les étudiants qui ont quitté les résidences universitaires, tous ceux qui sont restés et qui sont les plus précaires vont en revanche continuer de payer leur loyer. « On a des remontés d’étudiants qui nous disent être à -300 euros sur leur compte bancaire par qu’ils n’ont plus de revenu. Certains assurent qu’ils devront choisir entre manger et payer leur loyer », assure Jérôme qui s’alarme de l’urgence du paiement du loyer des étudiants, « aujourd’hui, il faudrait à minima que le Crous ne fasse pas payer les loyers des étudiants qui restent afin qu’ils puissent subvenir à leurs besoins alimentaires ». 

Des étudiants en première ligne dans les grandes surfaces

Pour d’autres étudiants, la situation financière reste inchangée puisqu’ils ont conservé leur emploi comme c’est le cas pour Benoît*, « je vis seul à Bordeaux et je suis caissier dans la grande distribution depuis presque 2 ans, et donc je continue de travailler puisque les grandes surfaces restent ouvertes. Malgré le virus, ça ne me dérange pas particulièrement de travailler. La direction a fait poser de grandes vitres au niveau des caisses, on a des gants à disposition partout et pour les gens qui sont au contact des clients en caisses minute on a des masques ». Même s’il n’est pas particulièrement inquiet, Benoît reconnait des failles dans la stratégie de protection mise en place par son entreprise, « ils ont mis du temps à mettre tout cela en place et donc si j’avais dû contracter le virus j’aurais eu le temps avant que ces mesures soient prises ». Il n’est par ailleurs pas le seul étudiant à travailler encore dans la grande distribution et ils constituent même la majorité de l’effectif de son entreprise, « nous sommes environ 170 caissiers, avec le confinement nous sommes descendus à 110 et sur ces 110 personnes il y a 75% d’étudiants, car beaucoup de parents ont pris leur droit de retrait », affirme Benoît. Les étudiants en plus d’être pour un certain nombre d’entre eux dans une impasse financière sont donc aussi particulièrement nombreux à être exposés au Covid-19 au travail, la grande distribution étant un secteur privilégié par beaucoup d’étudiants en recherche d’emploi.

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