Quand la Banque Alimentaire se dématérialise


Elisabeth Guignaud Le Berre
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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 12/06/2020 PAR Romain Béteille

Depuis quelques semaines, vous avez peut-être déjà revu sur les routes les camions orange et blanc de la Banque Alimentaire. La collecte auprès de la grande distribution, qui s’était totalement arrêtée durant le confinement, a en effet repris sur la métropole bordelaise « auprès d’un peu moins de la moitié des magasins habituels », nous précise Pierre Pouget, président des Banques Alimentaires de Nouvelle-Aquitaine.

Cet arrêt n’était pas la seule incertitude à laquelle devait faire face l’antenne girondine : la distribution aux associations avait aussi été bouleversée et les différents échos n’étaient pas tous optimistes quant aux stocks constitués au travers, notamment, des collectes hivernales. Le 20 mai dernier, la BABG a tiré un bilan de la période. Elle a ainsi distribué plus d’un million de repas depuis le début de la pandémie, soit une augmentation de près de 20% pour 3500 nouveaux bénéficiaires. « C’est assez souvent le fait de la génération des réseaux sociaux, des collectifs qui se sont constitués depuis le début de la crise ou avant, et qui intervenaient dans l’aide alimentaire de manière parallèle à ce qui se faisait par ailleurs. La crise a fait quasiment rentrer ces acteurs-là dans des « régimes de droit commun », ils sont sortis au grand jour en ayant besoin de produits qu’ils n’arrivaient plus à collecter et la banque alimentaire est devenue un recours sur lequel ils pouvaient s’appuyer », continue Pierre Pouget. 

Précarité étudiante

Aujourd’hui encore, la Banque Alimentaire Bordeaux Gironde fonctionne toujours en mode partiel : le libre-service sur les produits de première nécessité est maintenu jusqu’à la fin du mois de juin. La distribution d’été, elle, va devoir s’adapter au contexte. « Elle va fonctionner avec des sites de distribution réaménagés, notamment un site important à Stalingrad (rive droite de Bordeaux) et deux autres à Pessac et Bègles, qui fonctionnaient déjà. Concernant les denrées distribuées, on va maintenir ce qu’on a développé pour les étudiants, à savoir des poches déjà préparées à l’avance, alors qu’habituellement la distribution se faisait davantage en vrac », confie Gilles Dupuy, président de la BABG. On estime toujours à 5000 le nombre de bénéficiaires hebdomadaires de cette permanence solidaire.

Les étudiants ont en effet été particulièrement concernés par une hausse de la précarité causée par le contexte sanitaire et l’isolement. Pour tenter de les aider, les Crous ont organisé, dans toute la région, des distributions de courses hebdomadaires de produits fournis par les banques. Là encore, cette aide était visiblement la bienvenue pour beaucoup d’entre eux. « Les publics qui sont touchés par cette solution étudiante cumulent plusieurs handicaps : ils sont souvent éloignés de leurs domiciles car ce sont souvent des publics étrangers et c’était des publics qui arrivaient à faire face à des situations de grande précarité à la faveur de petits boulots qui n’étaient plus là. Les travailleurs sociaux du Crous nous ont indiqué que pour certains d’entre eux, les restes à vivre étaient inférieurs à une centaine d’euros pour le mois. Cette distribution, qui va être maintenue jusqu’à la fin de l’été, concerne plus de 2000 étudiants dans la région dont 700 étudiants chaque semaine à Bordeaux, 350 à Poitiers et le même nombre à Limoges mais aussi d’autres antennes plus petites comme en Creuse (neuf étudiants) ou en Lot-et-Garonne (une dizaine). Ça a permis d’apporter un service supplémentaire et un vrai soulagement à ces publics-là », appuie le responsable régional.

Soutiens nationaux

Les stocks, pourtant, sont toujours source d’inquiétudes. « Ils ont baissé drastiquement en produits secs parce que les publics nouveaux que l’on servait étaient très inquiets, notamment quant à leur capacité à respecter la chaîne du froid. On a donc du puiser dans nos réserves, c’est la raison pour laquelle l’essentiel des commandes passées avec les aides nationales seront des produits secs. La collecte de la semaine prochaine va aussi permettre d’aller les chercher ». La première information dont parle Pierre Pouget, c’est le plan de soutien national annoncé par le gouvernement en avril dernier à destination des associations engagées dans l’aide alimentaire.

Cette enveloppe, constituée de 39 millions d’euros, est fléchée en plusieurs parties : quatre millions pour les départements et territoires d’outre-mer, dix millions pour « les régions les plus impactées par la crise sanitaire », 18 millions aux associations nationales et sept millions répartis entre les régions. Sur ces sept millions, la préfecture de Nouvelle-Aquitaine a reçu 511 697 euros, un montant réparti dans chaque département et versé directement aux associations locales. « Sur ces 18 millions, 2,2 millions ont été fléchées au niveau national vers le réseau des Banques Alimentaires. Sur les 2,2 millions, la Nouvelle-Aquitaine récupère 266 000 euros. Sur les 511 697 euros, la BABG récupère 130 000 euros et les banques ont capacité à aller émarger sur ces crédits déconcentrés au niveau des départements », détaille-t-il encore. L’utilité de ces aides est déjà toute trouvée : reconstituer ces réserves qui continuent de fondre face à une demande en hausse (durable ?) : à date de fin mai, les besoins de régénération pour la Gironde représentaient 150 tonnes et environ 400 000 euros.

Collecte dématérialisée

La deuxième information importante, c’est cette initiative inédite, déjà testée dans le Calvados depuis la semaine dernière, et qui sera proposée dans une vingtaine de magasins répartis sur toute la Gironde les vendredi 19 et samedi 20 juin prochains : une collecte dématérialisée. Baptisée « Le don de vivre(s) », elle a le même objectif que le plan d’aide pour le réseau associatif, à ceci près que si elle ne compensera sans doute pas la collecte de printemps, organisée dans une banque alimentaire sur deux (et qui avait permis de récolter 300 tonnes en Gironde en mars 2019), elle pourrait au moins sauver une partie de ces volumes manquants. Concrètement, comment ça marche ? Régis Pauget, bénévole responsable des opérations de collecte à l’antenne girondine de la banque alimentaire, nous explique.

« Les bénévoles vont remettre aux clients à l’entrée des magasins des cartes « dons repas » d’une valeur unitaire de deux euros, encaissées par le magasin lors du passage en caisse. Le magasin encaissera cette somme et restituera de la marchandise, ce qui se fera en pleine discussion avec les supermarchés qui vont jouer le jeu et contribueront à abonder les dons des clients ». Par des conventions passées avec les magasins partenaires, les banques auront ainsi un pouvoir de décision sur les produits qu’elles pourront récupérer, à l’inverse (logique) des dons effectués par de nombreux industriels et membres de la GMS durant le confinement. « Les enseignes locales indépendantes nous ont plus facilement suivis que des chaînes nationales dont nous n’avons pas pu obtenir tout le temps l’accord, aussi parce que les contraintes actuelles rendaient les choses difficiles », poursuit Régis Pauget.

« Certains magasins ont proposé que ce soit des caissières, dotées d’un badge avec un logo de la banque, qui remettent ces tickets en sortie de caisse à leurs clients », le tout pour éviter aussi le contact et la présence trop importante de bénévoles à l’entrée des magasins, des forces vives mais souvent âgées, qui reviennent petit à petit, « au fur et à mesure que se lèvent les mesures de confinement. On a eu beaucoup de nouveaux bénévoles qui ont frappé à la porte, notre regret ça a été de ne pas pouvoir les accueillir tous en raison des conditions sanitaires. C’est un sujet qui revient, on a besoin de bras et de cerveaux pour faire fonctionner ces grosses machines », termine Pierre Pouget. « Je pense que l’expérience qui va être conduite en Gironde va faire école, on est prêt à partager notre investissement pour que d’autres banques puissent s’y mettre ».

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