Sommes-nous tous égaux dans l’espace public ?


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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 09/03/2020 PAR Lucile Bonnin

La Nouvelle-Aquitaine est la première des 13 régions françaises (métropole) à s’engager dans la charte pour l’égalité. Alain Rousset, président de la Région, insiste sur l’implication territoriale dans la lutte contre les discriminations : « nous devons encore avancer sur de nombreux chantiers en matière d’égalité des sexes. Le travail n’est pas terminé. 65% des lycées de la région ont un nom d’homme, par exemple. Il est impossible de fermer les yeux sur ce qui se passe dehors ». L’égalité passe avant tout par une prise de conscience de la population. Cette conférence-débat est un exemple de travail intellectuel et réflexif pour faire avancer les droits des femmes. Naïma Charaï, conseillère régionale de la Nouvelle-Aquitaine, lance en prémisse de la réunion : « la honte doit changer de camp ! J’espère que cette conférence va contribuer à un véritable changement de fond ». 

La ville : ennemi naturel de la femme ?
L’inégalité structurelle : voilà une piste de réflexion originale et pertinente. Édith Maruéjouls, docteure en géographie française spécialiste du genre, développe une théorie intéressante. La question de l’espace public serait intrinsèquement liée à la question des inégalités. L’espace public (ville, transports, etc.) reproduit des contraintes structurelles liées à la condition des femmes. La façon dont les femmes vivent l’espace public n’est pas le même que les hommes. Les femmes sont mobiles dans la ville, et, le plus souvent, cette mobilité est contrainte et vient s’inscrire dans une autre notion très connue : la charge mentale. Les femmes se déplacent pour aller faire les courses, aller chercher les enfants, déposer quelque chose, prendre quelque chose… « Pour comprendre ces inégalités, explique Edith Maruéjouls, il faut observer. Suivre le trajet d’une femme dans la ville en dit long sur sa place dans la ville et dans la société toute entière. »

Ce qu’on appelle « espace public » comprend deux dimensions importantes : l’urbanisme et une certaine pratique de la citoyenneté. Edith Maruéjouls prononce une phrase qui sonne comme un slogan : « l’espace public est l’espace dédié à la puissance publique. » Un rapport de force existe en effet dans les paysages urbains. La géographe explique : « Si on prend l’exemple du city stade, on peut voir qu’une certaine domination est exercée sur un espace qui devrait être neutre et à tout le monde. Les barrières autour du city veulent dire : ici c’est ça que l’on pratique (sport) et pas autre chose. Or, on doit pouvoir négocier car tous les espaces doivent être modulables. »

L’inégalité se joue avant tout dans l’aménagement pour Edith Maruéjouls. Le principal problème selon elle est que, hors de l’espace privé, les hommes et les femmes ne partagent rien, n’ont pas de relation. Cette carence relationnelle produit par conséquent de la violence. Mais comment impulser des politiques publiques dans le sens d’un aménagement égalitaire ? 14 nouveaux collèges vont être construits sur un plan égalitaire en Nouvelle-Aquitaine. « Un collège dans le département de Gironde a développé une expérimentation, précise la géographe. Le sport se fait désormais dans un lieu hors de la cour de recréation. Autre grand changement : les toilettes sont mixtes. Premier lieu de harcèlement, les toilettes induisent des violences même pour les garçons. Pour moi, il faut enlever les urinoirs. Comment est-ce possible de croire que les garçons n’ont pas de pudeur ? La mixité dans cet espace peut, je le pense, créer une bienveillance et une solidarité importante. »

L’enquête « Femmes et déplacements » : des chiffres locaux

Une enquête a été commandée par la Ville de Bordeaux aux sociologues Arnaud Alessandrin, Johanna Dagorn et Laetitia Cesar-Franquet. Mené entre 2016 et 2018, ce travail montre à quel point le harcèlement de rue est prégnant sur le territoire de la Nouvelle-Aquitaine. A l’aide d’un questionnaire inspiré des variables sexuelles et sexistes, les sociologues ont reçu plus de 10 000 réponses de femmes. Plus de 75% des femmes ont déjà évité un endroit dans une ville par prudence. Le harcèlement de rue convoque des injustices émotionnelles (l’humiliation ou la peur). Les témoins d’un comportement déplacé sont impuissants. 87% de ces derniers ne font rien. Pourquoi ? « Ils sont aussi surpris que la victime, ils ont peur, peur d’agir comme une double violence pour la femme agressée… Une éducation est à faire de ce côté », explique Johanna Dagorn.

Rien n’est plus explicite que des chiffres. 83% des femmes déclarent avoir subi au moins une fois en 2018 des faits de harcèlement de rue à Bordeaux. A Limoges ce sont 73% des femmes qui ont connu le harcèlement, 71% à Poitiers et 72% à Angoulême. Angoulême remporte d’ailleurs « la palme d’or » des regards insistants, de la présence envahissante et des sifflements ou bruitages divers envers les femmes (49% d’entre elles ont connu cela). A Poitiers et à Limoges, 18% des femmes ont du subir des commentaires non désirés sur l’apparence. « T’es plus moche que mon cul, sale pute ! » est par exemple un commentaire entendu dans le centre-ville de Limoges. 19% des bordelaises ont été victimes d’attouchements. Pire encore, la masturbation et l’exhibitionnisme ne sont pas des cas isolés dans le territoire néo aquitain. 6% des femmes à Bordeaux ont été confrontées à l’exhibitionnisme, 4% à Limoges et 2% à Poitiers. « Un homme s’est masturbé à la vue de tous vers le campus de Poitiers » témoigne dans l’enquête une de ces nombreuses femmes victimes.

Comment agir dans l’espace public ?

Pour réaliser l’égalité il faut agir. De nombreux acteurs du territoire agissent pour faire entendre la cause des femmes. D’abord, la région elle-même s’est engagée en octobre 2018 dans le plan « réaliser l’égalité en Nouvelle-Aquitaine ». Ces plans d’action posent des engagements pour passer d’une égalité de droit à une égalité de fait. Ce plan induit le fait que la collectivité régionale doit être exemplaire, doit prendre en compte l’égalité dans toutes les politiques régionales et doit mettre en valeur des actions et des acteurs qui œuvrent pour l’égalité dans la société.

« La Grande Causerie » est une association d’éducation populaire qui défend un projet de transformation sociale plus juste et égalitaire. L’association construit une exposition sonore qui sera visible au festival Chahut en juin dans le quartier de Saint-Michel à Bordeaux. Suite à différents appels à témoignages, les 3 responsables de l’association ont interrogé 14 femmes sur leur rapport à l’extérieur. Le but avant tout est de valoriser la parole des usagères et de créer avec des histoires enregistrées, un outil pédagogique. Cette initiative locale laisse entendre des femmes qui se sentent fortes et légitimes à être dehors mais aussi des femmes qui redoutent les balades nocturnes seules en ville… Ces actions militantes servent de rappel à l’ordre constant pour clamer haut et fort que la rue appartient à tout le monde et que les femmes devraient s’y sentir en sécurité. 

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