Unité post-urgence : le nouveau « sas » de Charles Perrens


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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 02/05/2019 PAR Romain Béteille

Conditions de soins

En avril 2018, le professeur Bruno Falissard (pédopsychiatre et directeur du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations) et l’interne Marie-Laure Baranne publiaient une étude au sein de la très spécialisée revue « Child and Adolescent Psychiatry and Mental Health ». Ce qu’elle disait en substance ? Que si la santé globale des enfants entre cinq et quinze ans s’améliore, les troubles mentaux (anxiété, comportement, dépression,ect.) arrivent désormais en tête des maladies les plus fréquentes chez les moins de quinze ans dans le monde. Les patients atteints de ces pathologies sont de plus en plus jeunes et des phénomènes nouveaux (comme l’automutilation) font également leur apparition. Ainsi, on estime à entre 10 et 15% la part de jeunes « traversant des moments très difficiles ». Face à cela, la pédopsychiatrie (et plus globalement la psychiatrie) tente de trouver de nouveaux moyens pour consolider leurs parcours, le tout dans le contexte d’une « perte de moyens globaux » dénoncée à de multiples reprises par le secteur, notamment lors des débats très vifs autour du plan santé.

Face à ces perspectives pas forcément rassurantes, le Centre Hospitalier Charles Perrens va, à partir du 6 mai prochain, tenter d’apporter une réponse. L’hôpital va en effet se doter d’une nouvelle « unité de post-urgences » pour enfants et jeunes adultes de moins de 25 ans. Concrètement, il s’agira de cinq chambres individuelles (avec salle de bains privée et mobilier adapté, notamment pour éviter les suicides) d’hospitalisation et de consultation ambulatoire. Cette unité sera directement intégrée à la FUP (Filière d’Urgence Psychiatrique) de Gironde qui compte déjà l’équipe psychiatrique d’intervention de crise (EPIC), le Service d’Évaluation de Crise et d’Orientation Psychiatrique (SECOP), les services de psychiatrie d’Urgence de l’Hôpital des Enfants (UHDE) du CHU de Bordeaux et plusieurs équipes réparties entre Saint-André, Arcachon et Lesparre. Concrètement, le volet « hospitalisation »  va permettre à des patients entre 11 et 25 ans d’être pris en charge à partir d’un diagnostic d’un médecin de la FUP tandis que le suivi ambulatoire ne pourra être que de 72 heures maximum. L’objectif, de l’aveu de Thierry Biais, directeur du CH Charles Perrens (nommé en février dernier et dont l’une des premières priorités affichée était le « décloisonnement des différents services »), « cette unité est conçue comme une interface entre nos différents dispositifs de soins pour que nos systèmes soient plus efficaces ». 

Éviter les hospitalisations systématiques

Le SECOP revendique ainsi 8000 passages par an dont 25% de jeunes de moins de 25 ans (et 7% de moins de 18 ans). 600 enfants relèvent des urgences pédiatriques (dans une unité qui accueille 45 000 enfants par an). Au sein de Charles Perrens (559 lits), une vingtaine sont dédiés aux enfants et une cinquantaine en tout au sein du PUMA (Pôle de Psychiatrie d’Urgence Arcachon-Médoc). « Cela correspond aux chiffres nationaux, il y a beaucoup de prises en charge en ambulatoire et en centre de consultation ainsi qu’un travail étroit avec le secteur médico-social. Sur ce point, l’agglomération bordelaise est plutôt bien dotée ». « C’était un chainon manquant sur le volet de la prévention, du repérage précoce et de l’hospitalisation de courte durée pour éviter à ces jeunes de rentrer systématiquement dans un cursus uniquement psychatrisé et hospitalisé classique. Ca participe à une stratégie visant à gérer la crise et la suite un peu différemment », ajoute pour sa part le docteur Chantal Bergey, cheffe du PUMA. Cette nouvelle unité fait aussi partie d’un plan plus global pour répondre aux attentes de l’Agence Régionale de Santé de collaborations entre établissements et de renforcement des équipes sur des territoires comme la Dordogne, le Blayais ou le Sud Gironde, réputés en pénurie face aux besoins.

Le CH Charles Perrens a inauguré en 2014 une nouvelle unité de pédopsychiatrie baptisée Upsilon (Unité de psychiatrie infanto-juvénile et de liaison de la Gironde) comportant une vingtaine de lits pour des jeunes entre 6 et 17 ans pour un maximum de 25 jours. « Nous avions déjà entamé la réflexion à ce moment là pour pouvoir accueillir des mineurs, même si initialement nous sommes un service de psychiatrie adultes de par notre composante urgences. Il y a malgré tout des enfants qui arrivent chez nous. Même si la plus grande partie passe par les urgences pédiatriques, certains arrivent directement ici, il y avait donc besoin d’un outil architectural permettant d’accueillir ces enfants dans de bonnes conditions, l’ancien service étant composé d’un long couloir avec onze lits, très différent de cette idée de chambres individuelles », poursuit Chantal Bergey. « On essaie d’avoir un projet de soin différent pour des jeunes de moins de 25 ans afin d’éviter l’hospitalisation systématique. Cela passe notamment par des prises en chare à domicile où un bilan professionnel effectué au sein de cette nouvelle unité pour identifier la pathologie sans institutionnaliser. On veut tenter de déstigmatiser le soin psychique et l’accès aux soins », continue la responsable, en affirmant d’ailleurs que « les familles sont souvent très surprises du fait que nous intervenions à domicile. L’acceptation de venir consulter un psychiatre se travaille aussi, il faut faire moins peur ».

Enjeux d’ouverture

Cette unité sera dotée de trois médecins, onze infirmiers et un éducateur spécialisé, et son budget de fonctionnement assuré en grande partie (630 000 euros sur 749 000 euros par an) par l’ARS. L’unité post-urgence fait enfin partie d’un plan de développement plus large de nouvelles actions en faveurs des jeunes : projet d’un hôpital de jour pour gérer les « situations de crise » pour début 2020, une nouvelle « équipe ressource mobile » pour venir en aide aux mineurs non-accompagnés pris en charge par l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance)… « Globalement, on s’est aperçu que les familles étaient un peu perdues. Nous cherchons donc à mieux coopérer entre les différents services. C’est pour ça que j’appelle notamment de mes voeux la création d’un numéro de téléphone unique permettant d’orienter les nouveaux patients vers le parcours de soin le plus adapté ». Cette demande n’est pas nouvelle : elle figurait déjà dans un rapport de 2017 sur la « situation de la psychiatrie des mineurs en France » aux côtés de 51 autres propositions (détaillant notamment les difficultés d’accès aux soins). Les professionnels de l’Équipe d’Intervention de Crise de l’unité psychiatrique fait aussi face à une augmentation du nombre de demandes. « L’équipe officiant sur la métropole bordelaise fait face à environ 500 demandes par an. Sur les consultations à domicile, on reçoit environ uen quarantaine de demandes par mois contre le même chiffre sur un an il y a quelques années. Par le biais de l’unité post-urgence, l’hôpital compte aussi essayer de gérer plus efficacement la sortie des patients pour éviter de « perdre de vue » des patients passés par les urgences et répartis ensuite aléatoirement (bien souvent en fonction des lits disponibles, peu importe si le service est adapté ou pas…) dont l’état pourrait se dégrader.

La situation de la psychiatrie française a beau être régulièrement dénoncée, le département de la Gironde fait partie des mieux lotis, et cette gestion coordonnée pourrait être une arme efficace contre les soins psychiatriques effectués sans consentement (dont une étude démographique de 2015 pointait l’inquiétante augmentation) : en France en 2015, plus de 1,7 millions de personnes âgées de seize ans ou plus ont été prises en charge dans les établissements de santé privés ou publics de soins psychiatriques dont 92 000 sans consentement, avec un taux d’hospitalisation en augmentation de 11% par rapport à 2012. Reste à mesurer si l’unité de post-urgence et le vaste plan de développement de nouvelles méthodes de soin dont elle fait partie sauront être des remèdes efficaces. L’hospitalisation (24h maximum) sera effective dès le 6 mai, le suivi ambulatoire de courte durée (consultation de post-urgence) dans l’attente de relais sur une structure adaptée (72 h maximum), lui, se mettra en place à partir du mois de septembre.

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