Flamenco extrême : d’Israel Galvan à Andrés Marin, retour sur 3 visions de l’art andalou dans le cadre de mira!


Alain Monot
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Temps de lecture 6 min

Publication PUBLIÉ LE 16/11/2008 PAR Joël AUBERT

Personnalités fortes et atyiques de la scène flamenca, tous trois avaient choisi de nous guider sur des terrains radicalisés, rompant avec la tradition purement andalouse pour mieux regénérer cet art codifié. Sans perdre de vue les origines de la danse, l’heure était à sa décontextualisation et son détricotage pour réinventer un nouveau langage, qu’il soit violent, autocentré ou plus réflexif. Extrême donc dans la forme et pour certains dans le fond, ces spectacles nous ont conduits en trois leçons sur les pas d’une réflexion profonde engagée sur l’évolution de la danse, nous immergeant par la même occasion dans une problématique plus globale sur la notion de contemporanéité.

Israel Galván « El final de este estado de cosas »
Ouvrant le bal avec son spectaculaire « El final de este estado de cosas » qu’il présentait pour la première fois en France, Israel Galván livrait une incarnation fracassante de son combat contre la mort en ouverture du festival ¡mira! Nous guidant sur les pas d’un flamenco rageur, s’acoquinant dans une consanguinité décomplexée avec le bûto ou le Heavy metal, ce dernier avait décidé de renverser une fois de plus nos représentations naïves pour nous faire basculer dans un univers parfaitement chaotique. Répondant à une vidéo envoyée par une ancienne élève dont le père avait été assassiné au Liban, Israel Galván semblait s’approprier cette douleur filiale pour en faire une souffrance volcanique et universelle, le poussant à investir sa danse d’une intensité qu’on lui soupçonnait mais qu’on avait jusqu’alors sous-estimée. Inutile de repréciser les charmes du danseur, sa virtuosité inégalable, cette incomparable manière d’habiter une gestuelle et d’impulser une puissance scénique. Ici, si ces atours contribuent au succès de la pièce, ce qui la rend unique tient au fait d’avoir su englober ce talent brut dans une mise en scène apocalyptique, prompte à traduire la fureur et la folie. Il est certains artistes possédant une intuition icomparable pour transcender leur art jusqu’à en donner une nouvelle définition, ceux-là même qui passeront à la postérité après avoir créés le scandale. En métissant sa danse jusqu’à en faire un art à la fois hybride et identifiable, il réinvente un langage corporel extrêmement narratif, exacerbé par le chant tonitruant de ces musiciens et une musique plus que profane. Désopilant, il compose un spectacle au rythme parfaitement agencé, évitant ainsi les écueils de la lassitude et maintenant en haleine une audience fascinée par cette présence magnétique et hyperbolique. Déjà acclamé lors de ses précédents passages, aujourd’hui il revenait nous confirmer cette première sensation : Israel Galván appartient définitivement au monde des plus grands, celui dans lequel un artiste est capable de s’extriper du carcan originel pour nous assomer à grands coups de chocs artistiques.

Andrés Marín « El Cielo de tu boca »

Flamenco extrêmeDans cette série consacrée au flamenco extrême, était en lice pour le titre de plus grand danseur de flamenco Andrés Marín. Sur scène, cet artiste excellait de sa longiligne et élégante silhouette dans l’art du baile, osant même pousser la chansonnette (un peu fébrilement) à certains moments. Rarement talon n’aura autant scié au pied d’ un homme, de quoi faire pâlir de jalousie les plus jolies sévillannes. Pour autant ce grand séducteur, cette virilité latine (épaules carrées, cheveux gominés) à l’état sauvage n’aura su procurer autant de plaisir que son confrère plus engagé. Dans la danse comme dans la vie, la conquête ne va pas toujours à celui que l’on croit. Mais on peut au mois lui reconnaître les charmes de la persévérance et de la mise en jeu. Dans un spectacle entièrement chorégraphié pour el Se_or Marín, il nous intimait de le regarder et nous défiait de mettre en doute sa virtuosité, lui qui, à la différence d’ Israel Galván dansera quasiment tout le spectacle face au public. Quelque peu égocentrique ou stéréotypé au choix, l’homme aux chevilles de fer trop occupé à jouer les narcisses en oubliera la présence de ses musiciens – courtisans. Sans cette cohésion nécessaire à une mise en scène, le spectale tournera rapidement à la démonstration, plongeant tête baissée dans les affres du systématisme et de l’ennui. Seul le volume sonore extrêmement fort, à la limite de l’inaudible nous ordonnera en terrible despote de regarder Andrés Marín se flatter et nous convoiter. Entre une modernité toute relative (diffusion d’images sur un écran vidéo, tableaux lumineux) et un art de la tradition exagéré par la sonorisation (y compris le bruit des talons), le spectacle ne trouvera pas la voie intermédiaire permettant de procurer ce souffle nouveau au flamenco. Trop habitués des déséquilibres rencontrés chez Israel Galván, nous voici devenus bégueules, rien ne sert de danser, maintenant il faudra raconter. Reste à rendre à César ce qui appartient à César et qu’il s’est donné tant de mal à nous prouver : Andrés Marín est sans nul doute le plus gracieux des deux… selon que l’on soit plus réceptif au signifiant qu’au signifié.

Stéphanie Fuster et Aurélien Bory « Questcequetudeviens »

Puisqu’il était question de déconstruction et de décontextualisation du flamenco, Stéphanie Fuster trouvait toute sa place dans cette programmation de l’extrême. Poids plume de la catégorie et seul élément féminin de la distribution, elle venait accompagnée pour l’occasion du metteur en scène Aurélien Bory, bien connu de la scène bordelaise. Intrigué par l’univers du flamenco et cet attachement viscéral des danseurs à la tradition andalouse, sa curiosté naturelle le poussait à réfléchir sur le devenir d’une danseuse de flamenco et celui d’une danse lorsqu’on les sortait de leur contexte préétabli. Avec l’esprit keatonien qu’on lui connaît et son œil fantasque, il décidait de quitter la sphèreibérique pour emmener Stéphanie Fuster en terra incognita, poussant l’exil à l’inverse du processus naturel. Dans cette pièce courte, le papillon redevenait chrysalide, quittant sa majestueuse robe rouge pour enfiler un jogging. Sur scène, le flamenco s’expérimentait alors de façon réaliste dans une salle de répétition dépourvue des ornements caractéristiques qu’on lui connait. Eloigné de la représentation d’une danse déterminée, Aurélien Bory préférait tirer sur le fil de la robe pour laisser la place au tâtonnement, nous ouvrant par la même occasion la portes des coulisses. Un vrai moment d’apaisement dans cette surenchère sonore, au cours duquel la guitare sèche et le jeu sur la répétition ne feront qu’amplifier les bienfaits de ce spectacle hypnotique. Dans ce confort ouateux viendra tout de même le moment de la confrontation, brisant l’écran nous séparant de cette salle d’entrainement pour ramener la danse au premier plan. Car la belle est terrible et ne se laisse pas oublier si facilement. Dans une piscine de fortune installée sur le plateau, le flamenco s’exhibera dans un combat présomptueux contre sa danseuse, la mettant au défi de dominer ses assauts fougueux sur un terrain glissant. Comme un écho à cette lutte, on entendra résonner la question initiale: Qu’est-ce que tu deviens, toi la danseuse ou toi la danse, lorsqu’on t’arrache de la terre ferme et qu’on te met les pieds dans l’eau ? Une perte de repère contrariante et contraignante obligeant les deux entités à repousser leurs limites jusqu’à l’issue fatale et ne faire plus qu’un pour tenter de vaincre l’élement sournois et moqueur. Encore une belle réussite pour le magicien Bory, qui décidemment n’a de cesse de nous étonner par son aptitude au détournement et sa capacité à transformer tout ce qu’il touche en art.

Photos : Alain Monot, Alvaro Cabrera

Hélène Fiszpan

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