Grand entretien : Jean-Luc Soulé et le 30ème anniversaire du Festival du Périgord Noir


Frédéric Thierry
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Temps de lecture 8 min

Publication PUBLIÉ LE 04/06/2012 PAR Joël AUBERT

@qui! –  Jean-Luc Soulé, trente ans c’est l’âge de la maturité d’un festival inscrit dans le patrimoine du pays. Pourquoi l’avoir sous-titré : « entre rêves et passions ? »

Jean-Luc Soulé

Jean-Luc Soulé – Le festival est porté depuis trente ans par les rêves de toute l’équipe qui l’a accompagné. Ses membres ont rêvé cette rencontre avec une terre qui était assez pauvrement ouverte au spectacle vivant et n’avait de la musique qu’une vision très partielle et primesautière ; un concert ici ou là… Nous rêvions d’inscrire dans la durée une aventure qui donne à des musiciens, venus de partout, l’occasion certes de découvrir le Périgord mais avec la volonté de construire une aventure artistique, une relation humaine avec une imprégnation patrimoniale : la relation rêvée entre les artistes, le Festival et le Périgord était bien celle-ci. La passion aussi, parce que on ne fait pas durer une aventure comme celle-là au delà des changements, des difficultés, sans une vraie passion partagée.

@! – Pourquoi « Contes et légendes » ?
JLS – Il me semblait que c’était la meilleure façon d’illustrer ce thème des 30 ans avec, en arrière plan, un petit fil rouge, celui des Contes et légendes. Pourquoi ? Parce que Purcell et la légende Arthurienne sont une belle façon de raconter une histoire. Et l’Académie de musique ancienne, la douzième cette année avec la création de « King Arthur », irrigue tout le festival et ce Périgord, terre de légendes

4 et 5 août : le rendez vous de toutes les musiques
@! – Vous avez conçu deux journées de lancement, le 4 août, à Montignac et Saint Amand en jouant de toutes les musiques… Du jazz, du classique, de la musique tzigane, du chant…dans des lieux différents, sur les bords de la Vézère et la Vézère elle-même… Avec la présence des élus locaux, départementaux. Et le 5 août, dans les Jardins d’Eyrignac à Salignac.
JLS – En effet, nous avons conçu ces deux jours en continuité… Le 4 août , à 11 heures, ce sera le lancement du festival en présence du président de la Région, Alain Rousset. A Montignac, avec tous les acteurs, les musiciens, les élus, le 11 août ce sera la création du roi Arthur et la soirée du Conseil général avec son président Bernard Cazeau. Cela montre bien l’engagement des deux collectivités, chacune à sa manière.
Ces deux temps forts renvoient plus que jamais au sens même du festival.

On s’est demandé comment marquer les 30 ans du Festival. Trente ans, la diversité des lieux, le poids des relations avec les élus et le territoire – j’y tiens beaucoup – que j’ai vu se développer de façon très forte au cours de ces dix dernières années.

Ce n’est plus le Festival qui fait venir des stars, qui attire la presse, l’été, avec de beaux papiers à la clé mais le Festival qui cultive un lien avec le pays, le patrimoine, les enseignants… Songeons, par exemple, au travail fait, pendant l’année, avec le bus de l’orgue lancé il y deux ans, avec deux académies l’une de musique ancienne, l’autre d’orgue.. Quinze villages et plus de vingt lieux différents accueillent un festival vraiment territorialisé. On ne peut pas dire, comme ce fut le cas un temps, c’est le Festival de Saint Léon-sur-Vézère ou de Saint Amand-de-Coly. Aujourd’hui, c’est le festival d’un terroir qui, d’ailleurs, sort des limites administratives…

En effet nous sommes en train de développer la notion d’inter-régionalité. Avec Brive et l’Opéra – ce sera en février prochain – avec Midi-Pyrénées aussi. Sarlat qui est la partie avancée du Périgord vers Midi-Pyrénées nous a conduit, aussi à travailler avec « Toulouse  Les Orgues ». Il y a de grands rendez vous à Toulouse en matière d’orgue et le directeur artistique de « Toulouse les Orgues « , Michel Bouvard, est désormais directeur de l’Académie d’orgue du Périgord Noir ; on implique les deux présidents de Région, les deux préfets, les deux DRAC. Le 14 septembre une coproduction entre « Toulouse les Orgues » et la Semaine de l’orgue de Sarlat témoignera de cette montée en puissance ; tout le monde devrait être là pour marquer cette collaboration qui se retrouvera à Toulouse, en octobre, au moment de l’édition du festival « Toulouse les Orgues. » Nous travaillons d’ailleurs, sur les projets 2013, à tisser des liens entre les régions et dépasser les frontières administratives

@! – Le festival joue ainsi un rôle de plus en plus remarqué dans l’aménagement du territoire.
JLS – En zone rurale, un festival comme celui de Marciac dans le Gers et celui du Périgord Noir, font vivre une partie d’un département et, au-delà les régions proches. Cette relation entre le territoire, la culture et les hommes dépasse le cadre de l’action politique ; elle enracine un Festival comme le nôtre. C’est le sens de notre action qui est bien comprise par les élus et ceci, au-delà des problèmes de financement toujours compliqués en cette période.

Il y a tout dans Purcell…
@! – Revenons sur un temps fort du programme 2012 : Pourquoi avoir choisi une fois encore Purcell pour l’Académie de musique ancienne, ce moment de création qui est un vrai marqueur du Festival ?
JLS – J’ai une vraie passion pour Purcell. C’est le musicien qui au 17 siècle donne déjà, à son époque, trois siècles d’avance. Il y a tout dans Purcell, l’histoire de la musique qui va suivre au 18° au 19° voire au 20° siècle. Michel Laplénie qui dirige l’Académie de Musique ancienne et est passionné par le 17 °siècle mesure bien ce que Purcell apporte dans la construction de l’Opéra. Quelques décennies avant, Monteverdi était encore très enraciné dans la Renaissance; Purcell est le synonyme de la richesse et du foisonnement baroque, avec en même temps cette capacité à construire sur très peu de choses, quelques notes, une vraie vision de ce qu’est l’histoire arthurienne. La phrase musicale, elle-même, est souvent très simple chez lui, une mélodie faite de quelques notes… En cela, c’était un compositeur capable de toucher tous les esprits, d’émouvoir: dans le roi Arthur par exemple on va entendre l’air du froid, très simple, construit avec une répétition de quelques notes avec un vibrato qui donne la sensation physique du froid en hiver. Cette capacité de Purcell à émouvoir et à faire travailler de gros ensembles, nous la retrouverons cette année avec près de 50 musiciens et la plus grosse des productions du festival, des costumes faits pour la circonstance, un travail sur l’espace… L’oeuvre va être reprise à Brive et on essaie de la faire tourner, la propose à d’autres lieux.

Le Festival malgré les rudes réalités économiques a la volonté de montrer ce genre d’œuvre. Ce ne sont pas les centres de diffusion traditionnels qui vont le faire. Ce que je fais, c’est construire une relation entre un espace patrimonial fort, une oeuvre très convaincante et la jeune génération qu’on fait sortir…

Pendant 15 jours le village ne vit qu’à l’heure de ces 50 musiciens qui sont là. Tout le village de Saint-Amand-de-Coly se met à leur service. On mobilise tous les gites qui sont d’une année sur l’autre réservés. Les acteurs locaux se mobilisent ; ils ont compris l’intérêt et l’importance de ce moment qui a des prolongements toute l’année.

Les Cartes Blanches c’est la fidélité

Jean-Luc Soulé et Alain Rousset

@! – Le Festival pour ces trente ans s’offre deux belles cartes blanches cette année…
JLS – Les cartes blanches se construisent sur la notion de fidélité; on ne peut pas donner à un artiste une carte blanche, s’il ne s’est pas passé quelque chose entre lui et le Festival; c’est à dire pas simplement un ou deux concerts de plus, mais une façon de l’habiter avec un programme conçu pour la circonstance.

C’est le sens des deux cartes blanches à deux pianistes pour lesquels j’ai beaucoup d’amitié et d‘admiration. Deux parcours assez différents de deux pianistes qui viennent de cette Europe centrale qui m’est chère : carte blanche à Nicolas Angelich d’une part et à Tamas Vasary d’autre part, un musicien qui pour moi est une légende, depuis mon adolescence. Les premiers disques que j’ai achetés quand j’avais treize quatorze ans sont ceux de Tamas Vasary. C’est lui qui m’a fait découvrir, avec Cziffra, Franz Liszt ; Tamas je l’ai rencontré, plusieurs fois, en Hongrie et un jour je lui ai dit : « On ne te connaît pas assez en France ; je suis sûr que le public sera heureux de t’entendre » Et ce fut sa venue l’an dernier, cette rencontre avec le public du Festival. Le lien est merveilleusement passé ; je lui ai proposé de revenir cette année. Il a choisi de faire venir quatre jeunes filles tziganes qui ont entre dix sept et vingt deux ans : le quatuor Mako, le 20 août et le lendemain le 21 le Festival propose une belle rencontre entre lui et Renaud Capuçon. Tamas a dirigé, une fois, il ya quatorze ans Renaud en concert car il avait remplacé au pied levé Yéhudi Menuhin. Mais ils n’avaient jamais joué de musique de chambre …et quand j’ai proposé, à l’un comme à l’autre, de se retrouver ils ont été très heureux. Ils ont réussi à trouver une date. Renaud sera rentré, le matin même, de Salzbourg

Le chant piano entre Brésil et Japon
@! – Deux temps forts aussi dans votre programmation : la soirée des lauréats les 18 et 19 août.
JLS – On a passé des accords avec deux concours, l’un de musique de chambre, le concours international de Genève un des grands internationaux. Cette année on a choisi le quatuor Hermès qui y a fait un tabac. Et dans cette même soirée du 19 nous présentons, avec un autre concours international de Chant-Piano Nadia et Lili Boulanger, une soprano brésilienne extraordinaire Raquel Camarinha qui vient avec le pianiste japonais Satoshi Kubo prix du duo 2011. Le public était sous le charme lors de cette finale.

La rencontre chant-piano est tout à fait exceptionnelle pour comprendre en profondeur ce qu’est la musique. Nous aurons là, deux grands artistes, qui viendront nous montrer le résultat de ce qu’est le travail exigeant entre le lied et la mélodie.

@! – Le Festival attire donc et révèle toujours des musiciens qu’ils viennent du Brésil ou du Japon…
JLS – Et d’autres pays aussi, comme la jeune chinoise Wenjiao Wang que j’ai entendue à paris à l’occasion du prix que lui remettait la Fondation Safran pour la musique; elle jouera, la veille, le 18 août . Elle sera une des très grandes du piano et j’ai voulu qu’elle soit là pour l’un des premiers rendez vous en France. C’est l’esprit même et la raison d’être du Festival.

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