« Univers-Cités » : des têtes chercheuses en banlieue


Nayra Vacaflor est doctorante, chercheuse en communication à l'Université Bordeaux 3. Sa mission : rencontrer des jeunes des cités pour comprendre comment ils utilisent les nouvelles technologies (téléphones portables, jeux vidéo, internet) pour « co

Vincent Bengold
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Temps de lecture 4 min

Publication PUBLIÉ LE 05/07/2009 PAR Vincent Goulet

Récemment récompensé par le Festival du Film de Chercheurs de Nancy, le documentaire présenté vendredi 3 juillet à la Maison des savoirs partagés de Floirac est un film inclassable, un travail d’équipe qui mèle de façon originale approche artistique, journalistique et scientifique.

Pour la réalisatrice, Ana-Milena Pabón, il s’agit avant tout d’un reportage sur les aspects humains d’une recherche : « c’est difficile d’expliquer pourquoi une chercheuse peut s’intéresser à la vie quotidienne des gens dans une cité. Par exemple, pour beaucoup de jeunes rencontrés, il aurait fallu filmer des choses plus excitantes, pas la banalité de la vie de tous les jours. ». Avec efficacité et sensibilité, elle parvient à capter les tours et les détours de l’enquête de terrain. Alain Bouldoires, responsable du programme Identités & Médias à Bordeaux 3 et commanditaire du film, précise : « Nous avons souhaité rendre visible le travail du chercheur en sciences humaines à un moment où la recherche est remise en question, et proposer en même temps un regard décalé sur les quartiers. Il faut se rapprocher du citoyen, la recherche est trop souvent enfermée dans les murs de l’université. »

La complicité d’une scientifique et d’un photographe
Pour tenir ce pari, le film repose sur deux piliers, la doctorante Nayra Vacaflor et le photographe Vincent Bengold. Rieuse et attentive, prompte à la répartie, tactile et décomplexée, Nayra parvient à instaurer un rapport direct avec ses interlocuteurs. Elle travaille « par immersion » et reconnaît que son léger accent comme son physique peu identifiable (elle est de nationalité bolivienne) l’ont aidée sur le terrain. Le fait d’être une femme lui a également permis de pousser plus loin les entretiens avec les jeunes filles, moins présentes dans l’espace public des cités que les jeunes hommes.

Vincent Bengold l’accompagne ponctuellement et joue un rôle de médiateur en proposant aux personnes enquêtées de photographier avec un appareil jetable des éléments de leur vie : quelque chose de l’enfance, quelque chose de beau, ce qui représente les origines, ce qui fait rêver… Le ou la photographe improvisé-e commente ensuite les photos prises, ce qui permet d’initier une réflexion sur sa vie, son identité, sa trajectoire sociale. A la fin du processus, Vincent fait une photographie de la personne enquêtée. « J’essaye de faire un portrait le plus vrai possible par rapport à ce qui a été dit ». Ces ateliers d’images sont-ils seulement, comme il le suggère, « un prétexte pour une approche documentariste » ? Rien n’est moins sûr à voir ces grands portraits sobres qui dévoilent une part d’intériorité qui peut désormais s’offrir parce que préalablement conquise par l’expression de soi.

Une banlieue qui elle aussi se cherche
KaledLe film évoque finalement bien peu la question des usages identitaires des nouvelles technologies mais il révèle beaucoup sur la façon dont les jeunes de banlieues vivent leur condition. Si la question des origines multiples semble toujours difficile à gérer, elle finit par se résoudre dans l’affirmation d’une identité française qui sert de creuset à toutes les autres. En revanche, la domination sociale pèse lourdement sur les aspirations de ces jeunes qui vivent souvent leur avenir sur le mode du rêve ou de la frustration. Par exemple, Zouer, jeune rapper qui sait qu’il ne « percera » pas mais qui n’en continue pas moins de jouer avec son groupe, Kaled, qui a intégré in extremis un lycée professionnel et qui se sent depuis un rescapé scolaire, ou encore Maeva qui se dit heureuse de pouvoir discuter « d’autres gens que ses neveux ou ses copines ». La capacité d’analyse n’est pas réservée aux universitaires, Nayra la chercheuse s’entendant dire par Tarik : « Elle ne va rien trouver, parce qu’il n’y a rien à trouver ici. Elle va juste apprendre des choses qu’elle ne connaissait pas avant, c’est tout. »

Mais si le « terrain » affleure sans cesse et perce l’écran par la puissance des témoignages, l’objet du film est aussi de montrer les coulisses d’une enquête en sciences sociales, le travail d’équipe et le questionnement collectif qui la rend possible. Il le fait de manière vivante et accessible, en épargnant au spectateur le jargon académique et la litanie des hypothèses scientifiques. La démarche est assez proche de « La sociologie est un sport de combat », le portrait de Pierre Bourdieu par Pierre Carle, mais cette fois-ci le sujet du film n’est pas un chercheur mais la recherche elle-même, avec ses tâtonnements et ses inventions, ses ratages et ses pépites arrachées à la banalité du quotidien. Au-delà du jeu de mot, le titre indique bien l’ambition de ce « reportage ethnologique » qui prend à la fois pour objet les universitaires et les jeunes de banlieue. Au bout du compte, tout le monde se retrouve à égalité quand il s’agit de chercher à comprendre ce qui donne sens et valeur à la vie.

Vincent Goulet

« Univers-Cités », documentaire de 52 mn d’Ana Milena Pabón. Périphéries Productions, CEMIC/Université Bordeaux 3, PLAN-LARGE.
Exposition des portraits réalisés par Vincent Bengold à la M.270 de Floirac jusqu’au 11 juillet.

http://univers-cites-lefilm.blogspot.com/

Photographies : Vincent Bengold et Périphéries productions.



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