Vu des étudiants du parcours journalisme de l’IEP – Pour ou contre la réforme des collectivités territoriales ? Gilles Savary et Yves d’Amécourt se répondent.


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Temps de lecture 4 min

Publication PUBLIÉ LE 11/03/2010 PAR Joël AUBERT

@qui! – Le sénateur socialiste du Var, Pierre-Yves Collombat, a estimé sur la chaîne Public Sénat qu’il s’agissait d’une « réforme politicienne ». Qu’en pensez-vous ?

Gilles Savary –  L’aspect politicien est quand même le cœur du réacteur. La création des conseillers territoriaux implique la disparition de 3000 élus locaux, en majorité socialistes. Cela ne va faire pleurer personne, à part les élus socialistes bien sûr. C’est surtout le mode de scrutin qui, dans la situation actuelle, est plus favorable à la majorité présidentielle. Avec ce scrutin mixte, on risque de créer de nouvelles majorités sur la base d’élus minoritaires, qui recueillent entre 30 et 35% des voix. C’est bien joué au niveau tactique car Nicolas Sarkozy a compris que la gauche aujourd’hui était balkanisée.

Yves d’Amécourt – La création du conseiller territorial était déjà présente dans le programme d’Edouard Balladur en 1995, ainsi que dans le livre de François Fillon. C’est une idée qui remonte à plus de quinze ans déjà. Le Premier ministre l’a mûrie à l’époque où il était lui-même un élu local. Il est aberrant d’affirmer qu’il s’agit d’une loi de circonstance pour que la majorité récupère les régions en 2014. La gauche détient aujourd’hui 80% des sièges au conseil régional d’Aquitaine. Il est vrai que le redécoupage des cantons va changer l’équilibre. Mais le redécoupage des cantons est nécessaire. En Gironde, le plus petit compte 2000 habitants et le plus grand 53 000 habitants, cela n’est pas très équitable. En ce qui concerne le scrutin mixte, il faisait déjà partie du programme de Léon Blum et du programme commun de la gauche en 1972. Mais il est beaucoup trop compliqué donc je n’y suis pas favorable. Je pense d’ailleurs qu’il ne sera pas adopté au Parlement.

@! – La création du conseiller territorial va-t-elle permettre de renforcer les synergies entre le département et la région, ou se fait-elle au détriment de l’un des deux échelons ?

G. S. – On s’achemine d’abord vers une « balkanisation » de la région, avec un président de région encadré par cinq présidents de conseils généraux : ses marges de manœuvre vont beaucoup diminuer ! A long terme, je pense que la fusion des départements et des régions est inéluctable. Les élus vont se lasser de voter le budget à deux endroits, dans leur département, et à Bordeaux, au conseil régional. Le conseiller territorial est la mèche qui allume la combustion lente dela suppression du département. Les départements ont déjà disparu desplaques minéralogiques d’ailleurs. Je ne pense pas que l’émergence derégions hyperpuissantes soit une bonne chose. On risque d’évoluer versun régime fédéral. Les présidents de régions seront très puissants entermes de budget. Ils pourraient demander un pouvoir législatif. Cela vaà l’encontre de l’histoire de l’unité nationale française.

« La mèche qui allume la combustion lente de la suppression du département »

Y. d’A. – Le conseiller territorial va permettre de rapprocher le département et la région, d’établir une plus grande cohérence dans leurs politiques. Je ne pense pas que cela signe « la mort du département » comme certains le prétendent, mais la mort de la féodalité du département. La nation est une et indivisible et il est dans l’intérêt du citoyen que les départements et les régions travaillent de concert. Ils n’ont pas à devenir des opposants. Aujourd’hui, le PS n’a pas de majorité au Parlement, alors il utilise les collectivités territoriales comme contre-pouvoir. Quant au scénario du fédéralisme de Gilles Savary, cela n’est clairement pas dans l’optique du gouvernement. Il y aura peut-être des tentations en Corse et au Pays Basque. L’objectif est, avant tout, que les régions réalisent des efforts de gestion et dégagent des capacités d’investissement.

@! – On évoque souvent le « millefeuille territorial » français. Cette réforme va-t-elle permettre une simplification de l’organisation territoriale ?

G. S. – Le millefeuille territorial est une réalité, mais c’est un prétexte évocateur pour mettre en œuvre une réforme qui sert d’autres fins. Il faut laisser aux régions les compétences en matière de développement économique et d’aménagement du territoire, et donner au couple département-commune des compétences de proximité. Les départements pourraient rendre aux régions la gestion des routes nationales, par exemple. En revanche, j’imagine mal la région gérer les aides sociales, comme le RSA. Nos régions sont trop faibles, pas trop petites. La possibilité donnée à des collectivités de fusionner entre elles montre au contraire que cette loi ne produit aucune simplification. Imaginez si des régions décident de se regrouper et d’autres non ! C’est une loi de complexification qui va créer de la confusion territoriale.

Y. d’A. – Je pense que l’on prend le chemin de la simplification. On va renforcer le couple communes-communautés de communes d’une part, et le couple départements-régions d’autre part. La création du conseiller territorial va permettre une clarification des compétences et une meilleure identification pour le citoyen. Aujourd’hui, les citoyens sont dans l’incapacité de citer leurs conseillers régionaux, ils ne les connaissent pas. Le vrai problème n’est pas le millefeuille territorial mais cette couche hermétique qui s’est installée entre la société civile et la gouvernance des collectivités. Il faut faire en sorte que les citoyens reçoivent les aides dont ils ont besoin, qu’elles ne soient pas absorbées par une infrastructure. Quant aux possibilités de fusion, je ne trouve pas cela choquant. Si des régions fusionnent, elles seront plus fortes. La loi doit permettre l’innovation. Les bassins de population se déplacent. On ne peut pas faire de développement durable si le territoire est figé.

Propos recueillis par Aurélie Abadie.

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