La chute du mur de Berlin, entre espoir et déception: des témoins, aujourd’hui à Bordeaux, parlent


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Temps de lecture 6 min

Publication PUBLIÉ LE 05/11/2009 PAR Piotr Czarzasty

Norman Haas, enseignant d’allemand à Bordeaux 3, Thierry Letelier, directeur de recherche à l’Inserm de Bordeaux 2 et Karsten Kurowski, journaliste et enseignant à l’IJBA; Institut de Journalisme de Bordeaux Aquitaine, étaient tous les trois au coeur des évènements, en ce mois décisif et mouvementé de novembre 1989 en Allemagne. Ils font part de leurs souvenirs et réactions de cette période, aujourd’hui historique mais qui ne leur paraissait pas nécessairement encore comme telle dans cette nuit du 9 au 10 novembre.

Une capitale submergée par l’enthousiasme et le chaos
Norman Haas avait 12 ans à l’époque et habitait alors à Berlin Est. « Je me suis rendu compte que quelque chose avait dû se passer lorsque je suis venu à l’école; la moitié de ma classe n’était pas là. Puis on a vu d’énormes foules se tasser devant les différents check points du mur pour passer la frontière. » raconte-t-il. Thierry Letelier, lui, venait d’atterrir à Berlin Ouest, précisément le 9 novembre dans l’après midi, pour assister le lendemain à un congrès scientifique à Holzhau en RDA. « On était près de la Porte de Brandebourg, c’était la folie, un mélange d’enthousiasme et de bonheur conjugué à une ambiance de chaos total. » se rappelle-t-il. « Les gens essayaient de démanteler le mur, marteaux et burins à la main. D’autres l’avaient escaladé pour voir ce qui se passait du côté est. On est ensuite allé voir vers un check point. Les Allemands de l’Est y traversaient en masse la frontière, tout en se jetant dans les bras de leurs voisins ouest-allemands. »

Les colonnes de trabants
Karsten Kurowski se trouvait, quant à lui, à Hambourg ce jour là, à 60 km à peine de la frontière avec la RDA. « La nouvelle est tombée vers 19h, lorsque l’un des membres du bureau politique du SED, Günter Schabowski, avait annoncé l’ouverture de la frontière. Malgré la nouvelle je m’étais couché. Mais je pouvais pas dormir. Je me suis dis que je devais voir ce qui ce passait à la frontière. J’ai pris mon matériel et j’y suis allé. Et là, une immense colonne de trabants attendait minuit pour passer à l’ouest. Les soldats ne faisaient pas de problème. Il y avait même du champagne. C’était la fête. »

« Ça vous dirait de casser un peu le mur? »
Toutes les histoires racontées autour de la chute du mur devraient être néanmoins, selon Thierry Letelier, quelque peu démystifiées. « Le démantèlement du mur c’était plus un geste symbolique qu’autre chose car tout le monde savait bien qu’on n’allait pas faire tomber un mur de béton armé à coups de marteaux. Les gens ramassaient donc des morceaux de pierre détachés du mur pour en garder un souvenir. Je me rappelle quand j’avais trouvé une grosse pierre aux pieds d’un soldat est-allemand. Lorsque je l’ai prise, tout content d’avoir un bout du mur de Berlin dans les mains, le soldat me regardait totalement éberlué. », raconte M. Letelier.

« Il faut avouer… », continue M. Letelier, que « …beaucoup de gens qui étaient là cette nuit, n’étaient que des badauds se laissant emporter par la foule en se disant « Super on va casser le mur! » » « Et puis… », rajoute-t-il « … il ne faut pas croire que ce sont les Allemands de l’est qui cassaient le mur. Eux, ils pensaient surtout à traverser la frontière. Ceux qui s’y prenaient à coups de marteaux et burins étaient les Allemands de l’ouest. » En guise de précision, il existait en réalité deux murs à Berlin, l’un à l’est et l’autre à l’ouest avec entre les deux un no man’s land. Les images du mur s’effondrant sous les coups de marteaux et qui ont parcouru le monde entier, sont donc uniquement celles du mur ouest de Berlin.

Comment l’Allemand de l’ouest fait marcher l’Allemand de l’est
En célébrant la chute du mur, on ne peut omettre d’évoquer les sentiments de désillusion et de déception qui ont accompagné la réunification allemande, la transition vers une économie de marché ainsi que l’adoption d’un mode de vie occidental. N’ayant pas connu le chômage pendant 40 ans, beaucoup d’Allemands de l’est se sont de même retrouvés à la rue du jour au lendemain. Qui plus est, plusieurs de leurs confrères de l’ouest ne mur de berlinfaisaient qu’exploiter la méconnaissance du capitalisme en ex-RDA. « C’est vrai que n’ayant aucune notion du capitalisme, les Allemands de l’est se faisaient souvent rouler. », rappelle Karsten Kurowski. « On leur présentait par exemple un stock de vêtements comme venant de Paris alors qu’on pouvait lire qu’ils étaient « made in India »; on les trompait aussi sur les prix etc. » Cet état des choses n’a pu que ternir encore plus l’image des Allemands de l’ouest aux yeux des compatriotes de l’est.

«Des mentalités différentes »
« Dans les premiers mois quand les Allemands de l’Ouest arrivaient en RDA, on les accueillait avec un large sourire, cela a très vite changé par la suite. » raconte M. Kurowski. « Ils commençaient à être perçus comme des exploitants, jouant des coudes et donnant des leçons aux ignorants de l’est. Ces derniers étaient, quant à eux, considérés par l’ouest comme des feignants, des gens indécis, pas sûrs d’eux-mêmes. » M. Letelier ne fait que partager cet avis en constatant : « On s’est rendu compte tout d’un coup que les Allemands de l’Est et de l’Ouest présentaient des mentalités complètement différentes. » « Ceci concernait notamment le mode de vie, la manière dont on le percevait. » ajoute M. Kurowski.

Réunification ou annexion?
Ce qui suscite enfin un grand nombre de controverses, aujourd’hui, est la réunification même de l’Allemagne, ou plutôt les conditions et circonstances dans lesquelles elle a eu lieu. « Faut dire ce qui est, la RDA a été tout simplement annexée par sa voisine. Cette dernière a été obligée d’adopter sans dérogations le modèle politique et économique occidental. » souligne M. Kurowski. Par ailleurs, la réunification a encore plus exposé les différences de salaires et de niveaux de vie entre les deux Allemagnes, contribuant ainsi à un exode massif vers l’Allemagne de l’ouest. M. Letelier remarque de son côté que même si les Allemands de l’est « n’en voulaient plus du communisme » ils « n’étaient pas forcément prêts à se jeter dans les bras du capitalisme ».

Une Allemagne de l’est moderne, dépeuplée et nostalgique
M. Kurowski souligne tout de même, qu’en définitive, la réunification a été bénéfique pour le développement de l’Allemagne de l’est. « Il faut savoir que la RDA, dans beaucoup de domaines, stagnait depuis des dizaines d’années. On avait l’impression que le temps s’était arrêté. Ces vingt dernières années les territoires de l’est ont vécu une vraie métamorphose (nouveau réseau routier, rénovation, construction de bâtiments, implantation de nouvelles entreprises). Tout cela de manière à harmoniser un peu les deux Allemagnes, ce qui a en grande partie réussi, même si l’Est est, aujourd’hui, considérablement dépeuplé. », conclut-il. Malgré ces multiples bénéfices, Norman Haas remarque de son côté la présence d’un certain sentiment de nostalgie envers cette période communiste. « A Berlin, ce sont les quartiers Est qui sont devenus les plus chics. Les gens ont même tendance à vouloir recréer l’ambiance de l’époque avec des éléments de déco, des meubles ou différents objets. » Les Berlinois continuent par ailleurs de distinguer les parties est et ouest de la capitale. « Un adolescent m’a demandé une fois où j’habitais, quand je lui ai répondu, il a dit : « Ah, c’est l’est, le Berlin des ténèbres. »»

Ainsi, 20 ans après la chute du mur, le bilan de la réunification allemande qui a suivi, reste mitigé. Le peuple allemand, après 40 ans de séparation, a pu en effet se réunir et reconstituer une seule et unique nation. Mais à quel prix? Ces 40 ans pendant lesquels deux générations entières ont vécu au sein de deux Etats distincts aux systèmes politique et économique divergents n’ont pas pu ne pas laisser de traces dans les mentalités, systèmes de valeur ou modes de vie respectifs. Et ce n’est pas la disparition d’un mur en béton armé qui fera disparaître toutes les différences.

Piotr Czarzasty

Photos: antaldaniel, saturn

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