Face à l’épidémie du Covid-19, la distribution alimentaire se réorganise en Nouvelle-Aquitaine


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Temps de lecture 11 min

Publication PUBLIÉ LE 31/03/2020 PAR Romain Béteille, Clément Bordenave

C’est un appel national que Jacques Bailet, président de la fédération des banques alimentaires, a lancé à plusieurs reprises : face à la crise du coronavirus et à la période de confinement, les associations de distribution alimentaire pour les plus démunis manqueraient de 5 à 6000 bénévoles en France. Au niveau local, depuis le 16 mars dernier, date de début du confinement, la Banque Alimentaire de Bordeaux et de la Gironde a revu son organisation. Pour son président Gilles Dupuy, « nous nous sommes organisés pour pouvoir tenir dans la durée. Les mesures sanitaires sont un facteur de ralentissement extrêmement important par rapport à la distribution mais on n’a pas de problème de main d’œuvre, les bénévoles dans les bureaux viennent aider pour la distribution, on a juste demandé aux personnes de 70 ans et plus de ne pas venir ». Les camions ne font plus le ramassage dans les grandes surfaces. Au lieu des 17 salariés habituels, la Banque tourne aujourd’hui avec cinq d’entre eux, des bénévoles et des aides ponctuelles. Elle a réorganisé la distribution des produits : ils ne sont accessibles que sur rendez-vous trois jours par semaine aux associations partenaires. « On reçoit un peu moins nos associations habituelles, mais d’avantage de structures pour des publics différents : des associations d’aides pour les étudiants, des CCAS, des maraudes pour les plus démunis pour distribuer des produits de première nécessité », confirme Pierre Cambar, le responsable des approvisionnements. Le 2 avril prochain, la BABG va conditionner des paniers d’aliments qui seront acheminés en vélo cargo par des coursiers bordelais et la mairie de Bordeaux puis distribués (tous les jeudis) aux étudiants en difficulté repérés par le Crous. 

« Avant, nous préparions des lots de produits secs en fonction du nombre de bénéficiaires. Ce travail de préparation avec les bénévoles, c’est fini ». Dans le hangar habituellement pleins de produits frais, douze palettes, dont une consacrée aux produits d’hygiène : du dentrifrices, quelques paquets de couches… pas forcément de quoi fournir des « kits d’hygiène » tels qu’ils sont présentés dans la campagne de financement participatif de la mairie de Bordeaux, qui a déjà récolté 11 660 euros. « La question des produits d’hygiène prend de plus en plus d’importance. Nous nous en occupions relativement peu, on récupérait parfois de la grande distribution. Ce n’est pas vraiment un réflexe habituel pour nos donateurs. Le type qui a 2000 savons, je ne sais pas s’il va décrocher spontanément le téléphone pour appeler la Banque Alimentaire… C’est notre souci le plus urgent. Nos partenaires de la grande distribution sont très demandés sur ces produits là, ils sont à flux tendus. Les lignes budgétaires dont nous allons bénéficier seront sans doute en part égale affectées entre des produits alimentaires et des produits d’hygiène. On y travaille : on a déjà un premier dépannage d’un lot de savonettes et de nettoyant ménager qui devrait arriver dans la semaine », assure Pierre Cambar. La mairie de Bordeaux a en effet créé un fonds d’urgence solidaire pour les publics fragiles : sur la totalité de son montant (100 000 euros), 50 000 sont réservés à la Banque Alimentaire, qui compte également demander des fonds au département, à la région et à la métropole bordelaise.

Banque Alimentaire 2020

À la Banque Alimentaire de Bordeaux, un box sur les douze est réservé aux produits d’hygiène.

Achats nécessaires, dons réorganisés

L’essentiel de leur utilisation est déjà toute trouvée : acheter, à prix coûtant, des produits pour tenter de pallier à la diminution du stock. Car, et c’est volontaire de sa part, la structure, face à l’urgence sanitaire et sociale, a décidé de ne pas faire de limitation au poids pour les associations qui viennent chercher les produits pour les redistribuer ensuite. Elles ne peuvent pas venir à plus de deux (pour éviter les regroupements), et elles passent à la pesée avant de partir pour que la Banque puisse gérer son stock. Mais celui-ci diminue rapidement. « Avec la ramasse en moins, on perd environ 3000 tonnes. Nos stocks en produits secs, issus des dons et de la collecte annuelle (371 tonnes en 2019 contre 409 tonnes en 2018 et 369 tonnes en 2017, soit environ douze millions de repas) seront largement entamés dans les semaines à venir, on peut s’attendre à un certain nombre de produits épuisé », ajoute le Président de la banque girondine. Annuellement, la BABG gère entre 4800 et 5000 tonnes de denrées. La BABG, qui couvre, selon Pierre Cambar, « un peu plus d’un quart » des besoins de la région Nouvelle-Aquitaine, compte donc en partie sur les subventions publiques pour se réapprovisionner en produits. Pour le frais, par exemple, elle a mis en place un partenariat avec la Chambre d’Agriculture et des producteurs locaux pour l’achat de produits à prix coûtant. « Actuellement, on distribue environ 50 tonnes par semaine, là où ordinairement, on serait plutôt aux alentours de 80 tonnes en moyenne. Pour ce qui est du partenariat avec la Chambre d’Agriculture et des maraîchers du coin, on a acheté la semaine dernière deux tonnes. On pourrait arriver à cinq ou six tonnes, mais ça ne sera un objectif que si les circuits de gratuité se tarissent. L’avantage pour nous d’avoir des produits en ligne directe, par rapport à ceux que nous récupérions en fin de course de la grande distribution, on a une semaine d’avance ».

Car les dons continuent d’arriver : ici quatre tonnes de fruits et légumes, là 11 225 barquettes de jambon, 15550 yaourts et 1400 beurres individuels, là-bas 1000 baguettes… « Nous n’achetons que quand c’est nécessaire. C’est exceptionnel par rapport à nos pratiques habituelles qui se base en quasi-totalité sur les dons. C’est un phénomène nouveau mais nous n’achèterons que dans la mesure où nous aurons des subventions pour couvrir ces dépenses et jamais sur nos fonds propres ». confie Pierre Cambar. « Nous gérons des dons exceptionnels qui proviennent des cantines, cuisines centrales, marchés, restaurants… On ne les refuse pas parce qu’on sait très bien que c’est une façon de ne pas gaspiller, compte-tenu des fermetures sucessives. Ce n’est pas du tout des dons classiques, c’est une des difficultés par rapport à l’organisation. Il faut que notre dialogue avec nos partenaires leur fasse accepter des produits qui ne sont pas toujours des références habituelles. C’est une période compliquée dans laquelle le court terme est fondamental », ajoute Gilles Dupuy. Nicolas de Trogoff, habituellement en mécénat de compétences, vient ici en tant que bénévoles, à moto, de l’entre-deux mers. « Les associations sont demandeuses, les gens ont le sourire. C’est une aide assez concrète pour les gens dans le besoin. Il y a toujours un peu de stress, d’agitation. Mais dans ces moments, on fait fi de sa propre personne. On est tous pareils, on a les chocottes d’attraper cette saloperie. Habituellement en charge des relations avec les partenaires, Nicolas a quitté son bureau et a « mis le travail administratif entre parenthèses » pour accompagner les associations. Ce jour-là, au sein des douze palebox, on trouve du pain, des oeufs, des cagettes de fruits ou encore des biscuits. Les fruits sont distribués par cageots entiers, pour éviter les contacts.


Des bénévoles toujours actifs

Franck Julliard-Condat est venu ce matin pour le CCAS (Centre Communal d’Action Sociale) de Saint-Médard D’Eyrans. Employé de mairie en charge des espaces verts, il se charge un après-midi par semaine de la distribution. « On donne un horaire spécifique aux gens pour qu’ils viennent récupérer leurs produits, on installe des tables dehors et on leur remet leur colis ». Le CCAS local aide 14 familles « dont neuf familles de gens du voyage qui vivent sur la commune dans des chalets en bois, des caravanes ou des mobil-homes ». Les bénéficiaires ont tous les profils : couple divorcé avec enfants, couple avec un seul salaire et des enfants à charge… Pour Franck aussi, c’est compliqué. « Je suis divorcé mais actuellement, je ne peux pas voir mes enfants, il faut qu’ils restent confinés. Pour l’instant, je continue à travailler mais je ne vais pas pouvoir rester des mois sans voir mes enfants ». Nathalie Jolly, elle, est une des bénévoles en charge de la pesée. Au chômage technique, elle est habituellement éducatrice de jeunes enfants dans une crèche. « Les associations sont contentes que la distribution soit conservée. Les bénéficiaires ont toujours besoin de ça. « Je m’occupe de la pesée pour la gestion des stocks et des facturations (en fait, 26 centimes par kilos distribués en guise de « contribution de solidarité »). C’est mon premier jour, mais je continuerai à venir ».

La Réole, elle aussi, s’organise face au coronavirus : depuis le 18 mars, elle a mis en place un numéro vert pour aider les personnes les plus démunies et a pris en charge la continuité de l’activité des Restos du Coeur, qui a du suspendre son action en raison de l’âge de certains de ses bénévoles. Mais l’adjoint à l’action sociale de la commune vient aussi chercher, une fois par semaine, des produits à la Banque Alimentaire. La semaine dernière, c’était 587 kilos pour 48 familles le mardi et 70 le vendredi. « Ce sont des gens qui viennent majoritairement de la commune et qui n’ont pas de moyen de locomotion. Il y a une mutation progressive de nos publics à prévoir. Les gens qui viennent ont peur ou sont dans des situations de plus en plus précaires. Nous n’avons pas plus de bénéficiaires que d’habitude. Pour le moment », nous confiait l’un des responsables du CCAS la semaine dernière. Dans une étude nationale parue en 2018, on découvrait que 71% du nombre de foyers concernés par l’aide alimentaire des banques vivait avec moins de 1000 euros par mois. 69% des bénéficiaires étaient des femmes, 61% des familles avec enfants, 15% des retraités et 83% des inactifs (dont 30% au chômage). La Banque Alimentaire a prévu de fonctionner en « mode dégradé » au moins jusqu’à la fin de la période de confinement. Et après ? La reprise de la ramasse dans les grandes surfaces ? Encore incertain pour Gilles Dupuy. « Je ne sais pas comment ça va reprendre. Depuis quelques années, c’était plutôt déclinant. Les grandes surfaces gèrent leurs produits frais de manière de plus en plus serrée. Je souhaite une évolution à ce niveau. Il y aura forcément de la ramasse parce qu’il y aura besoin d’évacuer un surplus et de ne pas jeter, mais il faudra que ça se passe dans de bonnes conditions, on ne pourra pas ramasser des produits qui sont qualitativement douteux ». Les Restos du Coeur, en revanche, n’ont pas fermé partout. Dans la Vienne, l’antenne locale s’organise en colisage. 

Restos du Coeur Vienne 

La nouvelle organisation sous forme de colis des Restos du Coeur, un exemple à Châtellerault

Alors qu’ils ont terminé la campagne d’hiver et qu’ils espéraient un peu de repos bien mérité, les bénévoles des restos du cœur de la Vienne retournent sur le pont plus tôt que prévu au regard des conséquences du Covid-19 sur la précarité de nombreux foyers. « Les circonstances ont exigé de nous quelques efforts de plus pour reprendre la campagne d’été un peu plus tôt que d’habitude. Il y a donc déjà dans la Vienne quelques centres ouverts depuis la semaine du 16 mars, et d’autres vont commencer à ouvrir cette semaine », explique Sylvie Mauriceau, responsable départementale des Restos du cœur de la Vienne.

Pourtant l’ouverture précoce des permanences devra se faire sans l’appui indéfectible des bénévoles de plus de 70 ans sommés de rester chez eux. Sylvie Mauriceau n’y voit pas un problème, « c’est totalement normal et cela ne pose aucun problème aux restos, mais cela donne beaucoup de soucis aux bénévoles eux-mêmes. Ils se sentent un peu exclus et ils ne souhaitent pas arrêter de soutenir les autres, donc on leur trouve des missions qu’ils peuvent aussi accomplir de chez eux, comme par exemple appeler les différents lieux ressources ou remplir des fiches pour les personnes accueillies », raconte la responsable départementale. 

Des jeunes en école d’infirmiers en renfort dans les centres

Malgré la mise en retrait des bénévoles plus âgés, un vivier de jeune a pris le relai. « nous avons accueilli tous les jeunes infirmiers et infirmières de première année d’étude qui ne peuvent pas aider dans les hôpitaux, mais qui veulent être utiles », se félicite Sylvie Mauriceau. Ces futurs infirmières et infirmiers vont être chargés de veiller à ce que tout le monde respecte les consignes et les gestes barrière lors des distributions dans les centres, « et ça ne sera pas forcément la tâche la plus facile », s’inquiète Sylvie. Pour le moment en dépit des inquiétudes, « les centres qui sont ouverts depuis le plus longtemps sont très contents de la réaction de nos personnes accueillies », se réjouit Sylvie Mauriceau. Après l’ouverture de certains petits centres, il y a quinze jours, les gros centres devraient ouvrir progressivement cette semaine. 

Assurer la sécurité de tous les bénévoles et des personnes accueillies

Pourtant l’activité des restos se retrouve réduite afin d’assurer la sécurité de tous ses bénévoles et des personnes accueillies. « Normalement, nous faisons de la ramasse dans les magasins pour les produits frais, mais pour l’instant ce n’est pas possible puisque nos chauffeurs ont exercé un droit de retrait et que de toute façon nous n’irions pas dans les magasins pour aller chercher de la nourriture que nous ne serions pas en mesure de distribuer », affirme la responsable départementale. Les Restos du cœur se sont vu proposer énormément d’aliments venus des différents lycées et collèges fermés, mais ils ont malheureusement dû refuser ces dons, « le problème c’est que nous n’avions pas une très bonne traçabilité et donc la crainte de la rupture de la chaine du froid », regrette Sylvie.

La répartition des dons alimentaires devrait se faire sous forme de colisage afin de respecter l’équité de distribution entre les bénéficiaires, « nous allons distribuer aux personnes qui arrivent aux centres un colis en fonction de leurs habitudes alimentaires », affirme Sylvie. « On espère que le beau temps se maintiendra pour pouvoir distribuer en extérieur ce qui limitera les risques pour tout le monde », explique la responsable de la Vienne.

Restos du Coeur Vienne

« Avec beaucoup de bonne volonté on va y arriver »

Toujours pour garantir la sécurité des bénévoles et des personnes accueillies, des consignes nationales ont été données afin de maintenir uniquement l’aide alimentaire et non plus l’accueil de jour proposé d’ordinaire. Sylvie Moriceau affirme que de toute façon que cela représenterait un danger trop important. « Zéro prise de risque », c’est indispensable selon Sylvie qui ne pourrait garantir l’ouverture des centres au public si les consignes de sécurités n’étaient pas optimales, « honnêtement, j’ai envie de penser que les gens sont citoyens et responsables, après il a une chose qui est certaine, en tant que responsable départementale de la Vienne, je ne mettrais la santé de qui que ce soit en danger, personne accueillie ou bénévole, si la situation devenait trop compliquée dans certains centres on fermerait et l’on chercherait une autre solution », assure Sylvie Mauriceau. Néanmoins, la responsable veut rester positive, « avec beaucoup de bonne volonté, on va y arriver, il y aura de quoi manger pour chacun, car nous avons l’habitude d’être équitables, donc nous resterons en sécurité tout en étant solidaires et avec le sourire surtout ».

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