Rapport « grand âge » et autonomie : une « réelle avancée » ?


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Temps de lecture 9 min

Publication PUBLIÉ LE 02/04/2019 PAR Romain Béteille

Après un important mouvement de grève l’an dernier dans les Ehpad, c’est peu dire que le rapport Libault sur le grand âge commandé par le ministère de la Santé, remis à Agnès Buzyn le 29 mars dernier, était attendu. Et pas uniquement au plan national. Françoise Jeanson, conseillère régionale de Nouvelle-Aquitaine déléguée à la santé et à la silver-économie (elle-même médecin coordinateur en Ehpad), a répondu à nos questions sur les grandes tendances des 175 mesures préconisées, qui donneront lieu à une proposition de loi d’ici la fin de l’année. Ces dernières comportent notamment un « plan national pour les métiers du grand âge », un soutien financier aux services d’aide et d’accompagnement à domicile, 80 000 postes supplémentaires en Ehpad d’ici 2024 et un plan de rénovation de leurs locaux (trois milliards d’euros) ou encore la le reste à charge mensuel pour les personnes modestes. Si la question du financement global (9,2 milliards d’euros) fait déjà débat, c’est surtout sur la philosophie de ce vaste plan que nous avons questionné l’élue et sur la manière dont la région (qui a voté en juin dernier un « schéma régional de la silver-économie » dont certains objectifs se rapprochent de ceux du rapport Libault) compte « prendre sa part ».

@qui.fr – Que pensez-vous des principales mesures de ce rapport sur le grand-âge, rendu public après une vaste concertation, et  des priorités qui s’en dégagent ?

Françoise Jeanson, conseillère régionale de Nouvelle-Aquitaine déléguée à la santé et à la silver-économie – J’ai un regret, c’est qu’en tant que Conseil régional ou au titre de régions de France, nous n’ayons pas été consultés sur ce rapport alors qu’une partie importante concerne les professionnels sanitaires et sociaux et c’est les régions qui financent des formations et ont la coordination de la silver-économie. Je peux espérer que nous serons consultés dans la phase d’écriture des lois qui risquent d’en découler.

Sur les principales mesures, je trouve qu’il y a une réelle avancée et une vraie prise en compte des différentes problématiques. On sent qu’il y a de vraies progrès qui peuvent se faire. L’une des premières propositions concerne la question des professionnels qui vont entourer les personnes qui vieillissent, au niveau des Ehpad ou de la façon dont on entoure les personnes âgées à domicile. C’est le premier enjeu des années à venir. Il va falloir qu’il y ait un réel travail sur le manque de personnel formé qui veulent rentrer dans ces formations. Dans les différents métiers concernés, il a été pointé des nécessités de formation, d’attractivité, de besoin de transformer le management des services de l’aide-à-domicile et de rémunération. Ce rapport fait prendre conscience que c’est un secteur majeur, ce qui n’était pas le cas il y a encore un an ou deux.

Il y a un vrai enjeu d’aménagement du territoire dans ce domaine. Les personnes qui avancent en âge sont partout, on le voit bien dans notre région. On les retrouve sur le littoral bien sûr, mais de manière générale plutôt dans des zones rurales et souvent en déprise. Il faut donc qu’il y ait des aidants partout. C’est un des enjeux de notre schéma de formation sanitaire et social : avancer fortement sur les formations d’aides-à-domicile et d’aides-soignants sur tout le territoire. Ce sont des emplois qui ne sont pas délocalisables, utiles partout où ils sont. C’est donc essentiel de renforcer ces métiers, que ce soit par les salaires, les compétences ou les perspectives que l’on donne à ces personnels. On ne reste pas forcément aide-soignant toute sa vie, il faut bien que les jeunes que l’on souhaite faire entrer dans ce métier sachent qu’ils pourront évoluer dans d’autres. Il y a aussi un enjeu de qualité de vie au travail des professionnels, dans la façon dont on leur permettra d’avoir des temps pleins, plus d’autonomie et un métier qui soit plus valorisant, y compris avec des travaux sur la façon dont ils se déplacent. A tous ces niveaux, ils faut encore travailler les propositions du rapport. Les régions sont prêtes à déployer un plan d’attractivité sur différents volets : le recrutement des personnes souhaitant aller dans les différentes formations pour leur présenter les métiers qu’ils vont faire, l’apprentissage, la rémunération ou la qualité de vie au travail notamment.

@qui.fr – L’un des axes forts apparaissant dans le rapport est la disparition où l’apparition de nouvelles aides sociales et une simplification du financement, notamment pour les plus modestes, conjugué à la volonté de renforcer le maintien à domicile des personnes âgées. Ces nouvelles aides vous paraissent-elles prioritaires ?

F.J – Il est clair que quand on voit le reste à charge aux familles dans un Ehpad, c’est très souvent bien plus élevé que les retraites que les personnes peuvent avoir. Quand elles n’ont pas d’économies, ça devient rapidement très compliqué, donc bien sûr qu’il faut une aide à destination des personnes les plus précaires pour que ça ne soit pas un obstacle et que les gens puissent être hébergés en Ehpad dans les moments où ils en ont besoin. La revalorisation de l’APA est aussi nécessaire, en ayant un travail de réflexion sur la façon dont il est financé et sur les montants. C’est aux départements et à l’État de réfléchir là-dessus.

Ce qui est aussi bien mis en évidence dans ce rapport, c’est que les personnes souhaitent de plus en plus vivre chez elles. Il faut donc éviter les ruptures parce que c’est toujours des moments facteurs de déséquilibres et de pathologies dès lors qu’on avance en âge. Moins on coupera le lien social dans le vieillissement, mieux ce sera. Pour ça, on peut travailler sur l’adaptation des logements, par exemple (une mesure évoque la possibilité pour les Ehpad d’ouvrir des chambre en location temporaire). Pour certaines personnes, il peut y avoir un passage en Ehpad sans que ce soit une fin en soi. Il faut plus de transversalité entre les différentes solutions utilisables : résidences autonomie, Ehpad, hôpitaux… Il faut le travailler avec du personnel qui passe d’un équipement à un autre, avec la question du financement aussi. On ne va pas multiplier les Ehpad à l’infini, il faut réfléchir à la manière de venir aider les personnes là où elles sont ou au moins dans leur environnement proche.

Cela dit, je me pose des questions, notamment éthiques, sur les Ehpad. On peut y mettre beaucoup d’argent comme c’est le cas avec l’idée du plan de rénovation. Les murs sont importants, certes, mais le plus important c’est les personnes qui sont dedans et la façon dont les gens sont pris en charge. J’ai vu des établissements avec des murs pas forcément neufs mais dans lesquels les gens étaient heureux parce qu’il y avait beaucoup d’animations, malgré un budget dédié souvent ridicule. Les professionnels étaient heureux d’y travailler. La loi ne pourra pas intervenir sur les établissements privés, mais elle pourra mettre des exigences. Quand on constate que certains établissements demandent 12% de rentabilité à leurs Ehpad, on se pose la question de l’argent qu’on y met et à quoi il sert : est-ce une politique de solidarité ou de rentabilité ? Il faut être vigilant sur le modèle économique des Ehpad ou des résidences autonomie. La solidarité nationale doit aider les gens, pas les fonds de pension américains.

@qui.fr – Parmi les mesures, on note celle de vouloir basculer la gestion du financement public des Ehpad à l’assurance maladie, autrement dit de vouloir renationaliser la gestion financière des établissements publics dans un but de simplification. Est-ce une bonne chose ? 

F.J – Le fait qu’il y ait trois financements différents, ça rend les choses plus complexes, plus lourdes à gérer même si en général les trois structures le font bien et que ça les fait travailler ensemble. Cela dit, je pense qu’il ne faut pas que l’État fasse tout, la proximité a quand même les avantages de la bonne connaissance du terrain et d’une adaptation beaucoup plus grande des solutions proposées aux situations territoriales. L’ARS doit par contre garder ce regard de la qualité de la prise en charge dans les Ehpad. Le financement n’est pas un sujet régional, mais tout décentraliser sur l’État me paraîtrait risqué.

@qui.fr – La région a voté il y a quelques mois une « feuille de route » de la silver-économie. Quels sont les autres grands chantiers sur lesquels la collectivité travaille, en adéquation avec les priorités définies par le rapport Libault ?

F.J – On est en train de travailler sur plusieurs choses, notamment sur les filières de formation. Tout le monde est partie prenante dans ce chantier, des employés aux centres de formations en passant par les financeurs. Le but, c’est de mettre en place des plans pour définir des axes permettant d’augmenter le nombre et la qualité de travail des professionnels de l’aide-à-domicile. Le prochain comité de pilotage a lieu dans un mois et on travaille, notamment avec des acteurs comme Pôle Emploi ou les instituts de formation pour rendre ces dernières attractives et faciliter l’entrée dans l’emploi. On prend en compte toute la chaîne.

On va ensuite lancer des expérimentations ou des actions localisées par territoire puisque dans le schéma régional de la silver-économie, on trouve des objectifs spécifiques par territoires qui correspondent aux besoin qui y ont été recueillis. Ca pourra être des soutiens à des formations ou des actions dans l’appel à projet sur la silver-économie que la région lance tous les ans pour soutenir des innovations. Il y a aussi une chose qui n’est pas abordée dans le rapport, c’est le développement des entreprises de la filière. Régionalement, beaucoup d’entreprises inventent des choses nouvelles qui peuvent être des outils techniques ou des innovations en termes de maintien à domicile (exemple : Domalys, ReSanté-Vous).

On a également lancé un programme d’appui aux entreprises d’aide-à-domicile dans leur management. Il se base sur le principe de l’Usine du futur, avec un besoin clair de soutien dans le management des équipes. Il se développe des méthodes beaucoup plus participatives et très innovantes, ces structures en ont besoin parce que ce sont des métiers qui sont très difficiles dont la force est le personnel qui y travaille. On va sélectionner plusieurs structures d’aide-à-domicile pour faire un diagnostic personnalisé sur leur structure et ldévelopper des programmes spécifiques de formation et d’aide à la mise en place des préconisations faites lors des diagnostics. On est en train de coordonner ça sur l’ensemble de la région, j’espère que ça portera ses fruits rapidements.

Enfin, dans nos travaux autour du SRADDET (Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires), on a introduit une fiche pour prévoir, lors d’un réaménagement d’un village ou d’un bourg, l’intégration de la question du vieillissement dans l’urbanisme. Une personne qui veut aller chercher son pain, il faut qu’elle trouve sur le chemin des endroits où elle puisse s’asseoir si elle est fatiguée. Il ne faut pas qu’elle aie 50 000 marches à monter. C’est tout bête mais c’est essentiel.

@qui.fr – Après ces 175 propositions aux objectifs financiers souvent très détaillés, qu’attendez-vous de la loi d’un point de vue purement sociétal ?

Une des préventions majeures du vieillissement, c’est que les personnes continuent d’avoir une activité. Pour l’instant le sport santé ne bénéficie d’aucun financement. Or, pour des personnes qui sont malades, qui ont des pathologies ou qui vieillissent, il faut des mesures volontaristes, y compris financières et incitatives. Le rapport parle de prévention mais ne précise pas quelle forme elle doit prendre…

Nous sommes dans une transformation complète de la démographie, il faut donc s’y adapter dans tous les domaines de la vie quotidienne, pas que les Ehpad. La ressource d’emplois et de qualité de ces derniers, sur le plan de la formation et de l’organisation, ça reste essentiel. Si on ne transforme pas ça, on va louper la suite.

Il faudra, enfin, que dans l’organisation de la « cité », des personnels à domicile puissent faire de la prévention, autant dans le domaine de la santé que de la culture, je pense par exemple au programme « Culture et santé ». La question de la cutlure, du lien entre les gens, c’est aussi le regard que l’on pose sur les personnes qui rentrent en âge. Il faut arriver à transformer le regard. On a la chance de vivre plus longtemps, on n’a pas à être infantilisés. Une fois qu’on aura changé ce regard, ça changera beaucoup de choses dans la façon de nous préoccuper de ce sujet-là.

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